Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le carnet vert
18 mai 2015

jean

Il chassait le perdreau, le faisan et tout ce que les haies offraient en matière de petit gibier à plumes ou à poil. Parfois je l’accompagnais. Seul, rarement. Avec toi, souvent. Je portais la musette. Si l’occasion se présentait, je ramassais des champignons, ou je mordais dans des pommes à cidre toutes en fraîcheur à cause de la rosée. Il arrivait même que je cueille de ces grosses grappes de noah en passant dans la vigne à Joseph, dont les grains prenaient en bouche une consistance bizarre et dont le goût évoquait l’éther. Bref, la musette ne rentrait jamais vide. Elle était même parfois lestée d’un volatile au plumage chamarré.

Un soir où nous étions invités chez lui, peu avant qu’il prenne sa retraite, il y avait du faisan au menu, justement, cuisiné avec du chou, si ma mémoire est bonne. Et elle est bonne en tout cas pour ce qui concerne le vin. J’avais apporté une fameuse bouteille de chez nous. C’est ainsi que nous avons découvert ce que nous savions déjà, à savoir que le savagnin se mariait à merveille avec la volaille. Je revois son visage épanoui alors que je lui versais un nouveau verre de ce vin pour lui inconnu, une heureuse découverte. Et aussi l’occasion de délier les langues, à force, pour des anecdotes savoureuses, et vécues, comme cet épisode amusant quand il s’est aperçu en arrivant un matin au bureau qu’il était resté en pantoufles. Il aimait rapporter de telles situations désopilantes. J’ai retenu aussi l’histoire du pilon de poulet récalcitrant, lors d’un repas d’officiels. La chose lui a échappé. Il a bien essayé de regarder discrètement autour de lui, mais pas de pilon en vue. Et pas de chien chapardeur sous la table. Il en a donc conclu que le maudit pilon était tombé pile dans la poche de veste du préfet, son voisin de droite. Nous nous étouffions de rire.

Un jour il m’a montré comment on s’y prenait pour greffer les poiriers. Ce n’est pas rien de savoir greffer les arbres. J’enviais cette connaissance qui m’échappait, à moi, le citadin. Si un jour j’avais à pratiquer moi-même une ente, je saurais peut-être me souvenir des bons gestes. J’en doutais pourtant. Je me disais alors que je lui téléphonerais, parce qu’il était un de ceux qui savent. Parce que, sans qu’aucun de nous ne l’ait voulu, il était un de mes mentors.

Le temps a coulé. Nous n’accompagnons plus nos ainés à la chasse. Je ne me souviens plus de l’endroit où se trouve la vigne à Joseph. J’ai oublié la saveur du noah. Je n’ai jamais eu besoin de greffer quoi que ce soit. Nous n’avons plus mangé de faisan ensemble, ni trinqué au savagnin. Les routes s’écartent parfois, au gré des vagues de la vie, et lorsqu’elles se rejoignent à nouveau, un jour de grand beau temps, c’est déjà le moment de poser une rose sur un cercueil.

Publicité
Publicité
Commentaires
P
Et oui, il faut savoir se remémorer les bons souvenirs.
Répondre
P
J'ai bien ri au deuxième paragraphe (et de l'histoire et de vous imaginer rire) mais que je n'aime pas la fin ! et pourtant...
Répondre
le carnet vert
Publicité
Archives
Newsletter
14 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 145 950
Publicité