la gare de ligugé
Le train ralentit. Je vois défiler quelques maisons, des arbres, une route humide, un quai mal entretenu. Le train s’arrête, gare de Ligugé, comme il le fait matin et soir, il n’y a rien d’anormal à cela. La gare de Ligugé n’est pas le centre du monde. Et heureusement. Je n’y ai jamais tellement prêté attention : je suis un voyageur intermittent, distrait, et souvent plongé dans une édifiante lecture. Pourtant cette fois je ressens comme un coup de poignard alors que mon regard se met à errer à travers la vitre sale. Une sorte de mélancolie m’assaille. Je me dis qu’il faudrait parer de sombre les environs, indépendamment de la météo, ce serait une manière de porter le deuil. Car cette gare est morte. Comme sont également défuntes, j’imagine, la plupart des gares du parcours. En tous cas c’est le cas de celle où je dois descendre. Des volets clos, des portes qui ne ferment plus, ou alors fermées à jamais, du crépi écaillé. Une ostentatoire absence de vie, choisie et sacrifiée sur l’autel de la rentabilité. Vous n’avez besoin de rien ? Tant mieux. Car, depuis fort longtemps, il n’y a personne au guichet pour vous renseigner. Il n’y a d’ailleurs plus de guichet. Tout au plus trouverez-vous l’impersonnelle machine orange qui distribue les billets, embusquée quelque part dans un recoin de muraille. La gare de Ligugé est morte, elle n’a plus d’âme, alors paix à ce que vous voulez.