les oranges
Nous avions soif.
Soif de vie, soif de joie, soif de tout. Je revois notre joie.
Je revis notre joie.
La joie était si grande. Comme si la mer avait miroité bleu devant nos yeux, éternellement.
La soif est une image : je n’allais tout de même pas absorber l’eau de mer. Il suffisait que je m’y trempe avec délectation. Elle me regardait alors avec envie. J’agitais l’écume, je riais. En retour Elle riait aussi. Je la vis plus tard se mouiller prudemment les pieds. Il n’en fallait pas plus. Et elle riait encore.
Parfois nous partions de bon matin sur les chemins de montagne. De là-haut le lointain bleu nous rappelait la mer. L’air vif attisait notre soif. La multitude des fleurs attisa notre joie.
La grotte de Zeus nous cracha au dehors, parmi une vague de touristes. Nous fûmes éblouis.
Le soleil, les fleurs. Elle s’attarda longtemps dans la composition d’une image arachnéenne.
Même en descente, le chemin nous était rude. Un chemin pour les ânes et les mulets. Dans un éboulis, je repérai une orchidée. C’était le genre d’évènement infime capable d’éveiller en moi un sourire intérieur.
Cette fois-ci, outre de joie, nous avions soif pour de vrai. Le chemin et la grotte n’y étaient pas pour rien. En bordure d’une esplanade, d’où nous ne nous privâmes pas d’admirer la platitude brumeuse du Lassithi, nous avisâmes une taverne devant laquelle on avait bâti une pyramide d’oranges, qu’un homme pressait sans faiblir. Pourquoi résister ? Je sortis ma bourse et on nous en servit deux grands verres, garnis de quelques glaçons. Nous nous en délectâmes en terrasse, jouant des yeux avec d’antiques éoliennes, tandis que la brise montant du plateau caressait doucement les cheveux très courts d’Elle, comme j’aimais le faire moi-même. À compter de ce jour, lors de chacune de nos promenades crétoises, nous dégustâmes un grand verre de jus d’oranges. Ce breuvage devint notre phare.