Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le carnet vert
9 septembre 2011

chez le coiffeur

Gamin, je faisais des cauchemars. Rien là de très original, n’est-ce pas. Quel enfant ne s’est pas réveillé en sursaut au milieu de la nuit, hagard et dégoulinant de sueur ? Moi je rêvais de murs. J’étais prisonnier de murs immenses disposés en labyrinthe, une image que j’avais dû voir dans un quelconque comics chez le coiffeur. Des murs d’une hauteur inimaginable. Ces murs infranchissables étaient faits de brique, comme la plupart des murs des zones industrielles de par ici, à l’époque. Et sur ces constructions vertigineuses dont on ignorait la finalité exacte, à part celle de m’effrayer, étaient collés quantités d’affiches à moitié lacérées, comme s’il s’était agi de murs parfaitement banals ; on y trouvait l’inévitable réclame pour la brillantine, le programme du prochain festival du rire à Bobino, des affiches électorales, même. Ah oui, on était en campagne ; et votez De Gaulle, votez Mitterrand, votez Lecanuet. Même Tixier-Vignancour y était, c’est dire qu’il y avait bien de quoi avoir des cauchemars.

Je sais d’où ça venait, cette histoire de murailles : de chez le coiffeur, justement. J’y allais avec mon père, le samedi après-midi. Le coiffeur habitait un pavillon banal, en meulière comme le nôtre. Nous nous y rendions à pied par un dédale de rues plus ou moins identiques et aux trottoirs défoncés. C’était presque pareil que chez nous, sauf qu’à la place de la salle à manger, il y avait le salon du coiffeur, avec ses étagères couvertes de lotions, son grand fauteuil de moleskine rouge (le siège de la torture) et surtout, surtout, une pile quasiment inépuisable d’illustrés dont je me délectais avidement à chaque visite.

Quand venait mon tour, je m’asseyais vaguement tremblant sur le fauteuil rouge, tandis que le coiffeur déclarait invariablement qu’il allait me tailler les oreilles en pointe. Et déjà je me voyais métamorphosé en P’tit Loup (je lisais le journal de Mickey). Et le bonhomme d’éclater d’un rire sonore tout en affûtant ses armes. Quant à moi, je souriais. Jaune. Je vais te raser le crâne, déclarait-il alors. Il n’en était évidemment pas question, mais je me renseignais néanmoins pour savoir à quoi ça servirait. Et il répondait qu’ainsi mes cheveux repousseraient plus forts ensuite, c’est comme le gazon qu’on tond pour qu’il soit plus beau. Bien.

Pendant que mon père se faisait coiffer, je replongeais illico dans les bandes dessinées. J’hésitais entre le Surfer d’Argent et Piko (nom français de Woody Woodpecker, souvenez-vous). Ou les chiens Bop et Be-Bop. Il y avait le choix. Je me souviens d’une histoire dans laquelle un méchant, allez savoir s’il s’agissait d’un Rapetou ou de Pat Hibulaire, je ne me souviens plus, c’est vieux, s’enfuyait courageusement en rasant les murs.

En rasant les murs, bon sang : c’était écrit en toutes lettres dans le livre. Vous comprenez maintenant le pourquoi du comment de mon satané cauchemar. On rasait les murs et ils allaient repousser plus forts, plus hauts, jusqu’au ciel, et m’emprisonner pour toujours.

 

texte publié dans le cadre des DEFIS DU SAMEDI

Publicité
Publicité
Commentaires
P
C'est comme ça que je les aime, les films.
Répondre
L
un film est plein d'amour et de tendresse :-)
Répondre
P
Christophe, à mon avis c'est fait, ils ont arrêté.<br /> Lise : tu as raison il ne faut pas renoncer à l'enfant en nous. Quant au film, je crois que je ne l'ai jamais vu.
Répondre
L
Le début de ton évocation m'a remis en mémoire le "Mari de la Coiffeuse" .<br /> Puis j'ai retrouvé ce cauchemar mémorable ( le seul dont je me souvienne) où Roquetou (le renard de mon dessin animé préféré) allait me dévorer. Quelle intensité que celle d'un imaginaire d'enfant ! Ne jamais y renoncer surtout ...<br /> Lise
Répondre
C
Il faut que les coiffeurs arrêtent avec ces BD et qu'ils se contentent des habituels Paris Match et Gala !
Répondre
le carnet vert
Publicité
Archives
Newsletter
14 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 145 957
Publicité