deuxième leçon
Mardi. Dix-sept heures. Vous prenez une moto ? Me demande le moniteur. Je suis fortement tenté de répondre par l’affirmative, mais. Je sais me montrer raisonnable. Ce n’est que ma deuxième leçon. Je pars de zéro pointé et je n’ai pas encore vu le maniement du sélecteur de vitesse. Vous prenez une moto, ça veut dire vous la conduisez du bureau de l’auto école jusqu’au parking qui fait office de plateau. C’est donc moi qui prends la voiture pour cette fois, mais je sais déjà qu’au retour, j’emmènerai la moto au garage. Bien. Même pas peur.
Une fois encore je ne décrirai pas en détail les multiples tours de parking qui constituent la deuxième leçon de conduite d’un type qui n’avait jamais touché un deux-roues depuis le solex de son adolescence. Cette fois je n’ai pas eu le moindre problème d’accélération fulgurante et intempestive. Comme quoi. J’ai arpenté le parking en montant les rapports jusqu’à la quatrième, puis rétrogradé jusqu’en première, puis demi-tour, puis rebelote. Bon au début, c’est un peu hésitant, on se contente de la seconde, qui n’est pas la plus facile à passer en raison de la présence du point mort, on décompose bien le mouvement, relâcher l’accélération, débrayer, avancer la pointe du pied gauche sous le sélecteur de vitesse, monter un cran, embrayer, accélérer. Tout ça, je le décompose un peu trop au début, alors je perds toute la vitesse, c’est ridicule, et puis finalement ça vient, je parviens à faire les gestes un peu plus rapidement, et ça passe assez bien. Sauf que je relâche l’embrayage un peu brutalement, on m’en fait la remarque, euh, vous faites comment en voiture, et là je le dis à la fin, j’embraye en douceur. Eh ben voilà. Oui, bon, je ne m’étais pas rendu compte, moi. C’est vrai en plus. Bref à la fin de la séance, je suis capable de monter les rapports, puis de rétrograder, et même de freiner et de m’arrêter si je veux ! Sauf que j’ai un mal de chien à trouver ce foutu point mort et le petit machin vert qui s’allume sur le cadran. Damned. Je vais devoir m’entraîner et m’entraîner encore.
Comme lors de la première séance, au début j’étais un tantinet tendu, je suppose que c’était visible. En tous cas j’avais les mains douloureuses à force. Je devais parfois m’arrêter quelques secondes pour faire faire de la gymnastique à mes doigts. Et puis une heure après je sens que ça se détend, mon corps se fait plus souple, mes mains plus légères, et je me surprends à arborer un grand sourire béat.
Il est l’heure de rentrer maintenant. Pause ménage. Comme nous sommes les derniers élèves de la journée, à nous le ramassage des plots du slalom. Puis on remet le casque et les gants (je vous passe la galère avec les lunettes, il faudra que je m’y habitue). En selle et vroum vroum. Nous sommes trois. Je roule en deuxième position afin que le troisième larron, déjà expérimenté, me vienne en aide au cas où. Et nous partons. Stop. Première, seconde, tape-cul à éviter devant le lycée, puis arrêt au feu rouge. J’arrive même à trouver le foutu point mort. Nous échangeons quelques mots, quelques impressions. Clignotant à gauche (je trouve sans problème), le feu passe au vert, première, je tourne sur la rocade, deuxième, troisième… La rocade. Ce n’est pas une sorte d’autoroute qui fait une boucle autour de la ville, non. Ça s’appelle rocade. Mais. Avenue à quatre voies, certes, mais avec plein d’intersections, de voies d’insertion, de feux. Vitesse limitée à cinquante. Des ralentissements. Coup de bol les feux sont presque tous au vert. Mais ce n’est pas ce qu’on appelle un modèle de circulation facile. À dix-neuf heures il y a encore du monde. Malgré tout, je goûte instantanément au plaisir. Plus rien à voir avec le plateau. Sensation grisante. La vitesse. Même à cinquante à l’heure. Eh on ne rit pas, c’est la première fois. Et puis, deuxième partie de rocade. Là, c’est limité à 70. 70 ? Hum. Je regarde le compteur. Un bon 80, oui. Bien. Et puis sur cette portion de route, il y a des courbes, ça descend, ça remonte, on passe même sous un tunnel. Et là je me rends compte que le corps sait spontanément ce qu’il faut faire pour s’inscrire dans les courbes. C’est assez enivrant, je dois dire. Mais il faut bien que ça s’arrête, n’est-ce pas, alors clignotant à droite, voie de décélération, je tourne, clignotant. Bon sang, ce machin m’agace, impossible de le remettre en position neutre, je ne sens pas de cran bien net, je constate même que je clignote à gauche alors que je dois encore tourner à droite à la prochaine rue. Bref je devrai m’entraîner à manipuler ce truc là. Enfin voilà, nous sommes arrivés au garage. Ah et puis oui, c’est l’occasion pour moi de tester le poids de la machine moteur éteint, afin de la ranger.
J’ai tout dit ? Oui, je crois. Ah, si : les rétroviseurs. Sur une moto, enfin du moins sur celle-ci, ils sont ridiculement petits. Il va falloir que je m’habitue à ça aussi.
Plus tard, arrivé chez moi, j’ai encore ce sourire béat qui m’illumine. J’aime ça, quoi. Le seul bémol, c’est que mon prochain rendez-vous est annulé en raison de la foire exposition, la semaine prochaine. Eh oui, c’est le parking du parc des expositions qui nous sert de plateau. Les autres, plus aguerris, feront de la circulation, comme on dit, mais pour moi les choses sont encore trop nouvelles. En ce qui me concerne je devrai attendre deux semaines avant de reprendre du plaisir.