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le carnet vert
28 mars 2010

la borne

Il fait beau. L’auto file à l’assaut du cap.

Il y a du vert et du bleu. Le bleu du ciel. Timide. Par ici le gris n’est jamais loin.

Tu vas voir…

C’est Stéphane qui le dit. Ce tu vas voir plein de promesse.

Sonia veut bien voir. Elle sourit. Les promesses. Elle aime les promesses. Elle ne reproche jamais à Stéphane de ne pas les tenir.

Tu me prendras dans tes bras ?

Une promesse de beau temps, un tu vas voir, c’est une promesse de gascon, elle le sait bien. Mais elle s’en amuse.

Quand il fait beau, parfois on voit l’Angleterre. Dit Stéphane.

On va voir l’Angleterre ?

L’Angleterre comme si c’était le Pérou.

Quand on voit l’Angleterre c’est qu’il va pleuvoir.

Et si on ne la voit pas ?

C’est qu’il pleut déjà. C’est un vieux proverbe de par ici.

Prends-moi dans tes bras.

La voiture, à l’arrêt sur un espace poussiéreux. Un sentier tracé dans le vert du cap.

Ils vont sur le sentier.

Stéphane et Sonia.

C’est difficile. Ils n’avancent pas vite. Le chemin est mauvais, caillouteux. Mais l’Angleterre, quand même. Et la mer.

J’aime que tu me prennes dans tes bras.

Ils sont arrivés au bout. Ils ont eu du mal. La sueur perle au front de Stéphane.

Sonia lèvre la tête vers son compagnon. Confiante.

Et ta promesse ? Et l’Angleterre ? Il ne pleut pas, pourtant.

Oh tu sais, les proverbes.

Il y a la mer.

Un miroir. Non. Pas un miroir. Une plaque métallique, avec, comment dire, des rayures, des aspérités, des choses qui renvoient l’éclat des lampes. Et du soleil, puisqu’il fait beau.

Stéphane la prend dans ses bras.

Elle se laisse faire. Elle passe un bras autour de son cou. Elle se laisse porter. Elle a confiance.

Ils sont au bord de la falaise. Enfin pas trop près quand même. Elle dans ses bras à lui. Ils regardent en bas. Elle a un léger vertige, mais rien de trop. Un peu de la griserie qu’elle éprouvait sur les chevaux de bois, lorsqu’elle était enfant.

C’est la mer surtout. Ce qui donne le vertige. Ces miroitements mouvants et discontinus.

Un goéland vient les narguer. Se pose sur l’herbe. Non loin d’eux. Les regarde de son œil vide. Je n’aime pas les yeux des oiseaux, dit Sonia. Je les sens cruels. Surtout ceux des goélands.

Stéphane pose Sonia à terre. Il chasse le goéland.

Il s’assoit près d’elle, dans l’herbe. Parce que c’est vert, ici. C’est un coin où il pleut souvent. Et peut-être que le sel ne vient pas jusque là pour tout brûler, que c’est trop haut.

On pourrait le pousser en bas. Tu me prendrais dans tes bras pour toujours.

Ils s’embrassent.

Ils se regardent.

Tu es belle. Dit-il.

Ses yeux à elle, qui rient.

On ne le fera pas, alors ? On ne le poussera pas ?

Non.

Tes bras sont ma bouée.

Il la regarde. Elle est belle. Il le dit.

Ils sont dans l’herbe. Assis. Allongés. L’un sur l’autre ? N’importe. Personne ne les voit. Le cap est vide. Seuls les goélands.

Ils nous voient dit-elle. Ce n’est pas bien.

Ils se disent des mots d’amour. Entre deux baisers.

Notre amour est sans limite. Sans borne.

Je n’aime pas les bornes.

Il la regarde. Elle est belle. Il sourit.

Puis mélancolique. Il regarde au loin. La mer métallique qui miroite. L’Angleterre qui n’est pas là.

Les bateaux sur l’autoroute aquatique. Il y a un trafic fou sur la Manche. Toujours.

S’il n’y avait pas de bornes. Pense-t-il.

S’il n’y avait pas eu de borne. Si seulement. Voilà pourquoi la mélancolie.

Il se rappelle.

C’était la nuit. Il faisait un peu frais, je crois. Une nuit d’automne. Avec de la rosée sur l’herbe. Ils avaient passé la soirée chez des amis. C’était une belle soirée. Stéphane avait un peu bu. C’est Sonia qui conduisait.

Je t’ouvrirai mes bras. Je te prendrai encore.

Ni l’un ni l’autre ne savent ce qui s’est passé. Sonia conduisait et Stéphane la regardait conduire. Il aimait bien ça. La voir conduire. Elle était virtuose. C’est ce qu’il pensait. Elle conduisait sans excès, mais bien. Parfois, dans ces moments là, il caressait sa cuisse. Sa main parfois s’aventurait sous l’ourlet de la jupe, effleurait la soie du bas. Sa main n’allait pas haut. Restait sage. Mais ce soir là. C’était un soir sans main. Je ne l’ai pas touchée. Ressasse-t-il.

Alors pourquoi.

Je te prendrai encore dans mes bras.

Dans mes bras, toi si belle.

Oui, pourquoi ?

C’est un accident. Ont-ils dit. Bien sûr que c’était un accident. Que les gens sont bêtes, de dire des choses pareilles.

Sinon pourquoi la voiture se serait retrouvée sur le toit, en plein champ, toute froissée, enroulée autour de cette borne kilométrique en pierre, ils ont mis un temps fou pour te désincarcérer, ma belle.

J’ai attendu si longtemps avant de pouvoir te prendre à nouveau dans mes bras.

J’allais te voir à l’hôpital. C’est Stéphane qui parle. Tu as mis tout un temps à te réveiller. Tu me regardais sans me voir. Puis un jour tu m’as souri. Un pauvre sourire. Un faible sourire. Comme pour t’excuser d’être là. Ma belle.

Nous avons appris par cœur les couloirs de l’hôpital. Ma belle.

Nous avons partagé ta rééducation. Ma belle.

J’ai souffert avec toi. Ma belle.

Plus rien ne serait comme avant.

Tout serait toujours, pourtant.

Mais il avait suffit de je ne sais quoi. Nous n’avons compris ni l’un ni l’autre ce qui se passait. Ma main ne reposait même pas sur la soie, sous ta jupe.

Il a suffi d’une borne. Une borne en pierre. Une seule putain de borne. Parce que le kilomètre numéro tant était là, dans ce virage, et pas ailleurs. Maintenant il parait qu’ils ne mettent plus de bornes en pierre au bord des routes, juste des choses en plastique qui explosent et se délitent en mille morceaux quand on a des accidents.

A cause de cette borne, la voiture était morte. Et toi, ma belle…. Et toi.

Prends-moi dans tes bras.

Il la regarde. Elle est belle. Il l’aime.

Il est retourné voir la borne. Pour comprendre ? Pour exorciser ? Pour expier ? Pourquoi ?

Il ne savait pas. Il voulait voir cette borne de malheur.

Il est venu en sens inverse de celui où ils allaient ce soir funeste.

Il faisait jour et gris. Comme dans ce pays où on a un mal de chien à voir l’Angleterre. La route était sèche, et belle. On montait un peu depuis la sortie d’un bourg, jusque sur le plateau. Et là, au début du plat, il y avait cette série de virages, pour contourner on ne savait quoi, puisque c’était plat. Un souvenir de quand il ne fallait pas empiéter sur le champ de truc ou le bois de machin. Ces virages donc, et la trace noire des pneus qui subsistait encore sur l’asphalte gris, juste à l’aplomb de la borne.

Stéphane prend Sonia dans ses bras.

Ses bras comme un refuge pour elle.

Des bras qui ont forci, depuis que si souvent il la prend dans ses bras.

Ensemble ils regardent une dernière fois le lointain. Ils ne voient pas l’Angleterre, ni le Pérou. Ils voient la mer qui scintille et les goélands qui les narguent.

Puis avec une infinie délicatesse il installe Sonia dans son fauteuil roulant. Et ils repartent en peinant sur le mauvais sentier caillouteux.

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Commentaires
D
Rigolo..J'ai lu juste les phrases/ refrains et j'ai aimé déjà.<br /> Je reviendrai pour la suite mais cela m'a vachement plu de lire ces bouts, comme une main reprise à chaque fois.<br /> Générosité ici.
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P
Annick : merci :-)<br /> <br /> Brigou: l'amour peut être plus fort que le reste, parfois.<br /> <br /> Caro : je sais. Mais tu sais bien que le Pérou évoque le merveilleux, dans l'imagerie française.
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C
Phil, je suis à moitié de là bas alors...
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B
Un très beau texte .. de l'émotion, de la tendresse, de l'amour surtout !
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A
Ecriture ciselée. Récit sensible.<br /> J'aime.
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