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le carnet vert
10 décembre 2009

nigéria

Il avait acheté un appareil numérique. Ça lui avait donné l’impression de partir en voyage. Mais c’était bien ce qu’il faisait, non ?

Il partait. Sauf qu’à ce voyage-ci, il n’était pas prévu de retour.

Il partait. C’était sans regret. Bientôt il serait riche. Quand il aurait récupéré le pognon.

Il était riche, en fait. C’est du moins ainsi qu’il se sentait.

Il avait loué une chambre dans un hôtel modeste faisant face à la gare routière, à quelques centaines de mètres du port.

Pendant que la jeune femme procédait à ses ablutions dans le cabinet de toilette, il avait déballé son matériel tout neuf. Il avait monté le zoom sur le boîtier. Il avait inséré une carte mémoire dans le logement prévu à cet effet. Il avait tourné le sélecteur en position « on », puis il avait fait face à l’armoire, dont la porte centrale était pourvue d’un miroir faisant toute la hauteur. Cette armoire lui avait rappelé celle de sa grand-mère et il avait eu une pensée émue.

Il avait rencontré la jeune femme alors qu’il savourait un chocolat chaud une terrasse, à l’ombre de la cathédrale, du côté où la place domine le fleuve et les anciens quartiers de pêcheurs. Il observait pensivement les allées et venues des touristes lorsqu’il avait capté sa présence. Il avait été intrigué par son parfum, quelque chose de très discret, évanescent, à la senteur légèrement anisée. Il aimait les parfums discrets. Il avait alors remarqué qu’elle se tenait debout, accoudée à une table haute ressemblant à celles qu’on trouve dans les buffets de gare. Toutes les tables basses, devant lesquelles on pouvait s’asseoir, étant occupées, elle n’y avait pas trouvé de place. Voyant cela, il avait proposé à la jeune femme de se joindre à lui.

Ils avaient fait connaissance, comme on dit.

Ils avaient découvert qu’ils allaient dans la même direction.

Il était en auto. Il lui avait proposé de l’emmener. Elle avait accepté.

Pour une raison dénuée de cohérence, il avait estimé que s’afficher avec une créature digne de faire la couverture de n’importe quel magazine de mode lui permettrait de donner le change aisément.

Ils avaient couru dans l’herbe rase et humide du cap. Ils avaient ri. Ils s’étaient donné la main. Il l’avait embrassée. Du haut de la falaise, il lui avait montré le large et avait dit, sentencieux, le proverbe qu’il venait d’inventer, à savoir que si on voit l’Angleterre, c’est qu’il va pleuvoir, et que si on ne la voit pas, c’est qu’il pleut déjà. On ne voyait pas l’Angleterre. Elle avait ouvert son parapluie et avait ri avec indulgence.

Il faudra que je mette en charge la batterie de l’appareil, pensa-t-il. Il avait le temps. Son rendez-vous avec le passeur était fixé à trois heures. Du matin, évidemment.

Il continua à jouer avec les mollettes de l’appareil, faisant face au miroir de l’armoire, s’y cadrant dans toutes les focales possibles. Il fit même un gros plan virtuel sur les mailles de son chandail.

Il touchait au but, il en avait la certitude. Dans quelques heures il serait de l’autre côté. Provisoirement à l’abri au milieu des montagnes que le vent balaie en permanence, à la limite de l’Angleterre et de l’Ecosse. De là, il avait une filière sûre pour passer au Nigéria.

Ils le retrouveraient peut-être un jour, c’était possible, ce sont des gens acharnés. Mais pas de sitôt. En attendant il pourrait s’offrir du bon temps.

Il était toujours accaparé par le maniement de son appareil lorsqu’il sentit la présence de la jeune femme derrière lui. Il la sentit. Toujours ce parfum inimitable, à la vague senteur anisée.

Il ne parvenait pas à se remémorer le prénom de cette femme. Un nom finissant en A. certainement faux, il n’en doutait pas. Elles aiment se donner des airs exotiques. Il se demanda fugitivement s’il devait l’emmener avec lui de l’autre côté. Elle lui avait paru, comment dire,… pas une aventurière, non, ce n’est pas le terme. Disons qu’elle semblait aventureuse, ce n’est pas pareil. Il chassa cette idée. Ce n’était pas prudent. On a passé un bon moment ensemble, merci beaucoup, et maintenant chacun sa route.

Il détacha son attention du viseur pour la regarder dans le miroir. Elle se tenait derrière lui, souriante. Elle était en sous-vêtements et elle avait défait son chignon. Ses longs cheveux blonds cascadaient sur ses épaules.

Le parfum de la jeune femme l’enivra brièvement. Toujours cette senteur anisée.

Il n’eut pas le temps de remarquer l’objet qu’elle tenait en main. Il entendit un bruit bizarre. Comme celui des flingues avec silencieux dans « les Tontons Flingueurs ». Et pour cause. Il fut amusé par cette pensée et soudain une douleur fulgurante lui transperça le dos, son visage fut frappé de stupeur. Son regard se voila, puis s’éteignit. Il lâcha l’appareil photo et il bascula tête la première dans le miroir de l’armoire qui se brisa

.

Texte publié dans le cadre des défis du samedi (consigne n°81)

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Commentaires
P
Syl : donner aux pauvres ? Quelle idée !<br /> <br /> Teb : mais une bonne fin doit être inattendue, non ?<br /> <br /> Tilleul : je parie que tu as déjà lu les quelques aventures d'Angélique.
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T
Je n'ai pas pu lire les défis ... Je suis contente de découvrir ta participation écrite de main de maitre... L'ambiance de ce récit laisse deviner qu'il va se passer quelque chose... J'aime bien!
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T
Hé ben... moi qui croyais (la grande rêveuse) qu'après quelques heures de tendresse galipéteuses il allait finir pas décider de rester ... ben ... il est resté ...<br /> Pfff.. nulle.<br /> Je r'tourne à mon tricot !
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S
S'il l'avait volé aux riches comme Mandrin, et qu'il comptait aller le donner aux pauvres, c'est pô juste ce qu'il lui arrive.
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P
Moi je sais pourquoi : il avait chouré du pognon et c'est pas bien du tout du tout.
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