dilemme
Au moment de monter dans le train, au moment même où je posais le pied sur la première marche, je me suis dit que je serais confronté à un dilemme.
L’instant précédent, mon regard errait encore au-delà des voies, là où dans un radieux jour naissant, la rivière serpentait nonchalamment derrière des rideaux de brume mouvante. Il était là, le dilemme. Occuperais-je le petit quart d’heure de trajet à me délecter de la beauté du paysage ? Ou sortirais-je de mon cartable mon recueil de nouvelles afin de m’absenter du monde quelques minutes ?
L’idée de mener les deux choses de front ne m’effleura même pas.
C’est que lire est un acte sérieux. Non ?
On attendait de moi une lecture attentive, et le cas échéant critique. Je ne devais donc pas me laisser distraire.
Je trouvai une place libre. Dommage c’était un wagon de l’ancienne génération. Sans tablette permettant de poser un livre ou une liasse de feuilles volantes. Je regardai autour de moi, prêt à dévorer le paysage ou à admirer quelque voyageuse bien mise. Les vitres étaient sales et couvertes de buée. On ne voyait pas grand-chose. Aucune voyageuse n’interférait notablement dans mon champ visuel.
J’ouvris donc mon cartable, en sortis la chemise cartonnée grise à rabats, posai celle-ci sur mes genoux et en extirpai la liasse de feuillets (que je n’avais pas été foutu d’imprimer correctement en recto/verso, ce qui me compliquait un peu la tâche). J’avais soudain hâte de savoir qui ce hâbleur d’Albert allait embobiner avec ses légumes de premier choix. Même à huit heures du matin, ces histoires de marché me faisaient saliver.