brume

C’était une nuit de glace. Les réverbères diffusaient une lueur blafarde. Jacques s’était planté en mobylette. On se demandait où il était passé, puis on l’a vu arriver à pied, le visage égratigné. Il n’avait rien, on était content. Mais la mobylette à Pierre-Louis allait marcher drôlement moins bien…

Les falaises d’Etretat disparaissaient derrière un rideau de pluie. Nous avons plié la tente. Nous étions transis. Mais nous avions bien fait de ne pas sauter…

Nous achetions des hot-dogs dans une baraque de la plage. Je regardais Monique mordre dedans. J’avais envie d’embrasser Monique…

Debout au fond de la salle du Bataclan, je sentais ma poitrine enserrée, je suffoquais sous l’assaut des basses. Sur scène Brian Ferry et ses acolytes affichaient paillettes et semelles compensées…

J’ai plongé dans l’eau insondable de la Gartempe pour fixer un grillage de protection sur la rive. A cause des ragondins…

Nous nous perdions dans des broussailles de plus en plus épaisses, un vrai maquis. Jamais nous n’atteindrions la tour Malmontet. Nous rentrions penauds à l’hôtel. Au repas ma mère disait que nous n’aimions pas les courgettes. La patronne allait intercéder en notre faveur. Moi je ne rêvais que de la partie de boules du soir…

Il fallait d’urgence aller chez le médecin. L’un de nous s’était blessé, il y avait du sang. Je ne sais plus qui. Peut-être moi. Peut-être ma sœur. C’était dans un chemin sableux sinuant entre d’énormes blocs de grès…

Dans le bois derrière chez nous s’ouvraient des carrières de sable ocre. Après l’école (je ne sais comment j’avais échappé à la vigilance de maman) nous y faisions du feu et y en a un qui avait l’idée sublime d’y jeter des bidons vides d’huile de vidange Yacco qui finissaient par exploser. A ma connaissance on n’a déploré aucun blessé…

J’aimais bien quand la maîtresse nous faisait faire du sport. Enfin, pas n’importe quoi : j’aimais quand nous sortions dans la rue, et qu’elle nous faisait nous affronter à la course. Nous courions dans le sens de la montée. J’étais de ceux qui couraient vite. Mais à ce jeu Fabienne était la plus forte. Mince, une fille nous battait tous…

Je nageais et je nageais. Lorsqu’il faisait gris, je nageais encore…

Le gros chien se précipitait sur la grille et aboyait en montrant les crocs. Je tremblais…

Je pourrais encore aligner ainsi d’autres bribes, des images fugitives extirpées incidemment de ma mémoire, des souvenirs isolés, sans contexte, qui ressemblent à cet arbre, un noyer je crois, que je voyais ce matin émerger d’un banc de brume, dérisoire élément solide campé au milieu d’un océan de vague et de mouvant, le jour n’était même pas totalement levé. L’ennui c’est que loin de se dissiper, la brume a fâcheusement tendance à engloutir les derniers récifs. Cela m’afflige, moi qui voudrais tant pouvoir encore ciseler des « avant », voire même des « autrefois ».

Comments

[Pralinette]

Ben te v'là routier maintenant ?
Mdlll

[phil]

Hier et ce matin aussi, il n'y avait pas de brume, il faisait beau, même (la chance), et j'ai pu voir le paysage d'un peu plus haut que d'habitude, depuis la cabine du camion. Intéressant.
:-)

[Baïlili]

Je trouve que "la brume" se dissipe souvent pour toi et c'est tant mieux pour nous. J'aime bien ce pêle-mêle de souvenirs...

[Syl]

Quelle grande claque de nostalgie tu nous envoies là ! Tes brumes se répandent jusqu'à nous et te lisant, ce sont des parcelles de nos propres souvenirs qui surgissent à leur tour !
Ferme les yeux et la brume disparaitra...tu plongeras alors sans difficulté dans les "avant " et les "autrefois"....mais il faut aussi penser à les ré-ouvrir les yeux, sinon ça pince le coeur un peu trop fort quelquefois.

[Dia]

J'aime beaucoup ce style d'écrit...On te lit, des images nous arrivent, on essaie de les lier et à la fin on a construit un genre d'histoire