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le carnet vert
1 mai 2006

ressource

0001021

Longtemps j’ai cru qu’il me serait impossible de me défaire de ma ville. Il me serait impossible de vivre sans m’y ressourcer à intervalles raisonnables.

J’ai écrit.

Dans un premier temps lors d’un stage, sous la forme d’un exercice de style nécessairement assez bref (quelques feuillets quand même). Sous couvert de fiction, j’ai écrit la ville. J’ai mis en scène un personnage qui avait perdu la vue accidentellement, comme c’est curieux, il était assis sur un banc du jardin public, et il racontait sa ville. Ma ville évidemment. Le personnage anonyme extirpait de sa mémoire les images oubliées, les sons et les odeurs qui avaient bercé son enfance.

Puis ce texte assez bref a servi de base à un autre, plus long, de la taille d’un roman. Un roman, quoi. Où la ville gardait sa place prépondérante.

Ainsi j’ai écrit ma ville.

Et je m’y suis promené régulièrement, plusieurs fois par an. Pour cela j’ai profité des visites à ma grand-mère, puis à mes parents, qui sont venus y habiter à leur tour.

Je me suis rapidement rendu à l’évidence, aussi, que les sensations de mon enfance n’existent pour ainsi dire plus. Ou il n’en reste que des bribes. Mais tellement moins chatoyantes que ce que magnifie la mémoire.

On n’entend plus le ronflement du grand moulin.

On n’entend plus les péniches corner pour demander l’ouverture d’une écluse.

On n’entend plus les locos à vapeur (on ne les entend plus nulle part, je sais).

On ne sent plus l’odeur caractéristique des caves ouvrant sur les trottoirs, ni celle de la laiterie au coin de la rue, que je trouvais d’ailleurs assez infecte.

En fait ils ont lavé la ville. La ville est aseptisée. Plus d’odeur. Pas de bruit caractéristique, rien que ceux insupportables d’une circulation automobile toujours plus dense, ou des dégoulinades affligeantes tombant des haut-parleurs lors des quinzaines commerciales. Les vieilles rues du centre ont été repavées moderne. Partout on a fait des crépis pimpants ou de la pierre apparente proprement jointoyée. Toute noirceur a disparu. Et des pans de vie avec, il me semble. Comme a disparu le linge qui autrefois séchait aux fenêtres.

Ils ont lavé la ville, ils ont aseptisé la ville : la ville est morte.

J’ai écrit ma ville, croyais-je. J’ai écrit des chimères.

Quand mes parents ne seront plus là, je crois que je pourrai tourner la page.

En disant ceci, je me rends compte qu’elle est déjà tournée, la page. Ça a pris du temps, des décennies, mais je crois que je peux envisager de vivre sans cette nécessité de ressourcement. Ou plutôt ce ressourcement pourra se limiter au périmètre restreint du cimetière. Je dis ceci sans aucune amertume.

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Commentaires
D
je crois que c'est presque cette photo que j'ai eu au concours du Louvre...
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P
Michèle : quelque soit le lieu, j'ai tendance à vivre de plus en plus le moment présent.<br /> Laouenanig : les locos, c'est peut-être que mon arrière grand père, que je n'ai pas connu, était une gueule noire : ça faisait un peu partie de la religion familiale, faut croire.
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M
on en s'y retrouve pas mais j'ai fait cette expérience il y a longtemps et maintenant dans ces lieux là , je vis de nouveau le moment présent sans rien rechercher d'autres , car cet autre est au fond de moi.
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L
C'est important d'avoir un endroit où se ressourcer.<br /> insupportable quand on le voit changer, être défiguré...<br /> il y a peu, je traversais une lande sauvage. Depuis longtemps déjà je savais qu'un chantier allait tout détruire, pour y batir un emetteur.<br /> Je suis passée le long des clotures, à 10cm du vide (c'est une ancienne carrière), et j'ai tenté de me persuader: il n'y pas de grue, pas de route, pas de camions, le silence et le bruit des rapaces.<br /> J'y ai presque cru, sauf que... tout était bien là.<br /> grue, bruit, engins...<br /> j'ai comme toi la nostalgie des locos à vapeur. Bruit, odeur, chaleur...<br /> nostalgie d'un temps que je n'ai pas connu. souvenirs de moments doux, juste derrière la loco, un grand sourire au milieu de nos visages tous noirs...
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P
Michèle : on ne revient pas en arrière, certes, et quand on revient dans un lieu quitté depuis très longtemps, c'est sans doute normal qu'on ne s'y retrouve pas facilement, même s'il est chargé de souvenirs. Mais ce n'est pas mon cas, ma ville je la visite plusieurs fois dans l'année.
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