luxembourg
ou comment les histoires des uns inspirent les histoires des autres...
Tu n’étais pas très bien. Et moi : encore moins. Dieu sait que j’ai pris sur moi pour te suivre dans cette galère. Je serais volontiers resté enfoui sous la couette, à écouter distraitement la ville bruire, du haut de notre troisième étage. Ce n’est pas drôle de devoir bouger alors que la veille on a été terrassé par la gastro, ou quelque avanie du même tonneau (je n’ai jamais su avec conviction si ce n’était pas une intoxication alimentaire).
Je me suis levé péniblement. J’ai pris quelques tickets de bus. D’un pas flageolant nous avons marché jusqu’à l’arrêt du 57. J’avais froid. Il faisait gris (alors que la veille il faisait si beau).
On était vendredi. Sur le boulevard de l’Hôpital, le bus se traînait lamentablement. Je crois qu’à pied on aurait été plus vite. Mais nous n’avons pas essayé. Trop mal.
Ton frère nous attendait à l’entrée du Jardin des Plantes. Nous avions rendez-vous, c’est pour ça que nous faisions cette sortie malgré tout. Nous nous sommes vaguement mis d’accord sur un premier objectif, une boutique de papeterie près de Jussieu. Tout le long des allées je ne regardais rien de spécial. Je suivais d’un pas morne.
Nous avons trouvé la boutique. Vous vouliez acheter un truc pour l’anniversaire de votre mère. Je n’ai pas eu le courage de farfouiller longtemps avec vous. Je suis sorti du magasin et me suis absorbé dans la contemplation de la vitrine voisine, celle d’une librairie. Assis sur un banc, un clochard dévorait un sandwich et interpellait les passants en crachouillant des miettes. J’avais envie de m’asseoir aussi et je ne l’ai pas fait.
Plus tard, alors qu’il faisait toujours désespérément gris, nous retrouvions temporairement une sorte de vitesse de croisière pour monter la rue de la Montagne Sainte-Geneviève. Nous sommes arrivés sur le côté du Panthéon. Nous nous trouvions alors dans un minuscule îlot du quartier que nous ne connaissions pas encore. Dans la rue Soufflot, une nouvelle vague de douleurs sporadiques m’a assailli. Je n’avais plus qu’une idée en tête, m’asseoir quelque part. Sans nous concerter, nous avons naturellement traversé le Boulevard Saint-Michel, nous avons longé les grilles du Luxembourg, sans faire attention plus que ça aux grandes photos exposées sur la grille, nous avons franchi la première entrée que nous avons trouvée, nous avons encore traîné la savate sur quelques mètres, le temps de trouver un banc tranquille, et nous nous sommes posés.
Vous avez discuté un long moment. Je n’écoutais pas trop. Je me taisais. Je regardais un enfant jouer sous la surveillance ennuyée d’une jeune fille. Je regardais cet enfant, je regardais la vie se dérouler, les pigeons picorer, les joggeurs jogger, les m’as-tu-vu palabrer sottement, les voyageurs de l’improbable tenir leur valise en laisse, les japonais se photographier mutuellement devant les fontaines, un homme fourbir ses objectifs et mitrailler longuement un arbuste rougeoyant sous toutes les coutures, les premières gouttes de pluie s’écraser lourdement au sol…
Ça sentait la poussière mouillée. La clarté déclinait. Nous nous sommes levés. Nous avions envie de rentrer dans notre tanière. Le type mitraillait toujours l’arbuste rougeoyant. Nous avons traversé la rue. C’était pour aller voir l’herboriste. Elle nous a procuré des feuilles d’artichaut. Pour la gastro, c’est radical, a-t-elle conseillé.
Chez nous, nous avons fait de la tisane. L’artichaut, c’est peut-être radical, je n’en doute pas, mais je peux vous dire qu’en infusion c’est atroce. Heureusement que nous avions également acheté de la menthe poivrée et du miel.