les sources
J’ai lu quelque part, au détour d’une page, au coin d’un journal froissé, à moins qu’il ne s’agisse d’un scintillement éphémère sur le visage d’un bouc, qu’on pouvait avoir passé son enfance à Verviers, avoir au plus tôt délaissé la ville, et y revenir souvent en s’y trouvant chez soi. J’aimais bien cette notion-là. Elle me parlait, à moi qui ai grandi en banlieue parisienne, dans un paysage si kaléidoscopique qu’il est difficile d’y planter des racines. Un exemple : voici quelques mois j’ai mangé dans un restaurant marocain, presqu’en face de chez nous, un soir noir aux réverbères orangés, où nous étions serrés sur des banquettes de cuir. Le décor m’était totalement étranger, les tajines étaient excellents, et pourtant je ne m’y reconnaissais pas. Dans ces murs, autrefois, se tenait le studio du photographe. Dans la vitrine souriaient à jamais des figures en noir et blanc. On me faisait asseoir sur un tabouret tournant, on m’amadouait avec je ne sais quoi, alors moi aussi je souriais, on le saurait en noir sur blanc, en jauni sur papier brillant à bords dentelé. Et aussi sur la photo de ma première carte d’identité. Le flash crépitait. Je clignais de l’œil. J’ignore si l’incandescence du métal dans l’ampoule était la cause de l’odeur indéfinissable régnant dans le local.
Je me souviens de mes jours adolescents, dans ces rues-là. Avec les copains, nous les arpentions en long, en large et en travers. En vélo surtout. Nous avions tous grandi dans cette ville informe, et pourtant aucun de nous n’était d’ici. Cela ne se faisait pas. L’un était breton tandis qu’un autre se disait occitan. Quant à moi, mes sources étaient multiples, mais je n’étais pas d’ici, ah non. Voici je crois une de mes douleurs. Avoir des racines ailleurs que dans l’endroit où j’ai grandi. Revenir dans des lieux où je n’ai jamais vraiment vécu. Ne pas pouvoir dire de manière invariante, je suis de tel endroit. On a bien de la chance de pouvoir affirmer être de tel ou tel endroit, notamment de Verviers. Entre parenthèses j’ai eu grande honte, pour l’occasion, à ne pas savoir situer cette ville avec précision. Ma boussole interne l’indiquait quelque part au nord ; c’était bien vague, mais c’était un pas dans la bonne direction. Je me suis renseigné ultérieurement, et j’ai eu envie d’explorer la Belgique.