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le carnet vert
6 mai 2011

l'homme à la tuile

Dehors il y a un homme. Dans la cour. Je veux dire, parmi les personnages étranges qui vaquent dans la cour, il n’y a qu’un homme.

Les femmes tournent. Inlassablement. On les croirait sur un manège de fête foraine. Un qui n’irait pas vite du tout.

On n’entend aucun flonflon.

On ne sent pas la barbe à papa. Ni la pomme d’api.

 

Ça sent plutôt la pharmacie. Et un vague relent de soupe.

 

L’homme de la cour travaille. Il déménage.

Je suis presque sûr de ça. Il déménage.

J’essaie de me mettre dans sa tête.

 

Mais justement. M’objecte-t-on. Ils n’ont plus leur tête, les gens qui sont dans la cour.

Ils déménagent.

C’est pour ça qu’ils sont dans une cour dont on ne peut pas sortir.

 

Je pense que la promenade des femmes en manège lent agace l’homme. Lui, il n’a pas le temps de s’amuser. Il a du travail. Il doit déménager.

Je le vois qui s’essuie le front. Il doit être luisant de sueur. C’est que son cageot est lourd. Enfin je suppose.

 

Par la fenêtre de la chambre j’observe l’homme dans la cour. C’est une chambre quelconque d’un hôpital quelconque. Avec une fenêtre quelconque. En alu quand même. Cette chambre n’a rien à voir avec la cour dont on ne peut sortir. Ni avec les gens qui sont dedans. Mais de là on peut les voir. Les observer. Comme cet homme qui travaille.

 

L’homme porte un chapeau.

L’homme travaille. Travaille-t-il du chapeau ? Mais non. Il déménage, on vous dit.

L’homme s’empare du cageot. C’est son cageot. Que personne ne s’avise d’y toucher. Ça n’irait pas. Que pourrait-il bien déménager, sinon ?

Il se déplace d’un mètre (environ). Très lentement. Précautionneusement. Peinant sous le poids de son fardeau. Ce n’est pas une sinécure, un déménagement.

Un mètre plus loin, donc, il dépose sa charge. Il remonte un peu son chapeau. Il s’essuie le front. Il contemple son œuvre. Fier du travail accompli.

L’homme se baisse. Il prend ce que contient le cageot. D’ici on dirait bien une tuile. Une courbe dont sont couvertes les vieilles maisons de par ici. Une tuile. Pas de chance. L’homme semble désemparé, soudain. Que faire de cette tuile ? La reposer dans le cageot ? Mais ce ne serait pas du boulot. Pas comme ça qu’on déménage, non mais.

L’homme s’aventure prudemment dans la cour, sa tuile à la main, prenant le risque d’entraver le manège lent des bonnes femmes. L’homme est prudent et circonspect. Il n’y a pas d’accident. Ouf.

 

Ouf ? Du verlan ? Allons, pas de galéjades. Ne nous moquons pas d’un homme qui travaille. Même s’il porte un chapeau.

 

L’homme se déplace de quelques pas. Dans l’autre sens. Une fois encore il ne percute aucune des femmes qui tournent. C’est un homme précis. Amoureux du travail bien fait. D’ailleurs voilà. Il aperçoit un cageot. Son cageot. Posé au pied d’un mur gorgé de soleil. J’imagine déjà le sourire sur son visage, lorsqu’enfin il peut déposer sa tuile quelque part, et pourquoi pas dans le cageot. Sans rien casser. Un travail d’orfèvre. Précis.

 

L’homme s’essuie le front une fois de plus. Puis il se saisit du cageot lesté de la tuile, il se déplace d’un mètre environ et dépose le cageot au pied du mur.

Il se redresse. Il contemple son œuvre. Satisfait.

C’est un homme qui travaille. Il déménage.

Ecrit pour les Défis du samedi

 

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Commentaires
P
Fabienne : oui la vitre nous sépare. Je ne sais pas si je supporterais de voir de plus près.<br /> <br /> MillECA : merci. Je n'avais pas pensé à du suspense en écrivant ça.<br /> <br /> Syl : ;-)
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S
il y a des moments où je me dis que si on a la tête qui débloque, il vaut mieux qu'elle ne fasse pas d'arrêt en position "conscience" de peur de devenir ouf, euh fou
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M
Pendnat toute la durée de ma lecture, je me suis demandée si l'homme n'allait pas créer l'incident parmis les femmes. Comme une angoisse montante. Enfin, tout s'est bien passé, et presque rien ne s'est passé.<br /> <br /> Joli texte m'sieur !
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F
J'aime ce texte qui va lentement et tourne en rond comme cet homme et ces femmes dans cette cour. Heureusement, il y a la vitre qui nous sépare de ce monde-là.
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