la pénétrante

Hier soir, c’était spectacle de danse hip-hop.  Je pourrais avoir décidé d’en parler longuement. Mais non. Je ne parlerai pas du spectacle proprement dit. Mais du lieu.

C’était prévu à 20h30. Alors nous avons mangé de bonne heure et nous sommes arrivés avant l’heure, comme je l’avais décidé, parce que le parking, tu vois. En plus nous ne savions même pas le lieu exact. Sous la pénétrante, était-il précisé sur la plaquette. Ah ah ah. Et tu y vas comment, sous la pénétrante ? Il faut que tu saches. Parce que j’aime bien te faire savoir. La pénétrante, c’est une chaussée à six voies, je crois, qui enjambe la vallée profonde et pénètre directement au cœur de la ville, tout près du livre de pierre, en venant des quartiers est. C’est un témoignage représentatif des délires urbanistiques de l’ère pompidolienne. D’ailleurs la pénétrante s’appelle « voie Malraux », en fait.

Je me suis garé sur un petit parking au bord du Clain, où il restait quelques places libres et nous avons marché quelques dizaines de mètres. Quelque part il y avait une grille ouverte sur une allée, avec un panneau blanc à l’entrée, ne comportant aucune indication. À tout hasard nous nous sommes engagés là. Et effectivement. C’était le bon chemin, comme on nous l’a confirmé un peu plus loin. À cet endroit le chemin longe la rivière, bordé par des arbres majestueux, principalement des platanes et des marronniers.

La rivière, et le chemin, par conséquent, dessinent un coude. Et nous arrivons en vue du dessous de la pénétrante. Ça fait comme un viaduc, en fait. Une structure de béton impressionnante. L’aire destinée au spectacle est en trois parties, délimitées par la rivière et trois jambages de béton monstrueux, lesquels sont intégralement recouverts de ces fresques urbaines que j’affectionne. Du coup je regrette de ne pas m’être muni de mon appareil photo. Mais je ne savais pas. C’est ça le plus fou, en fait. De découvrir dans la ville que je sillonne tous les jours des lieux que je ne soupçonnais pas. Il y a même un moignon de rempart médiéval, muni d’une volée de marches et qui servira de support aux premières scènes du spectacle. J’ai un mal fou à empêcher les enfants de grimper dessus. C’est que ce n’est pas sécurisé et que ça domine l’eau directement.

Finalement nous attendons pas loin d’une heure le début des festivités. C’est pour ça que j’ai le temps de m’imprégner du lieu. La rivière a son importance dans le décor. Elle est d’un  calme. La surface n’offre aucune ride. Celui qui ne sait pas serait bien en peine de dire dans quel sens elle s’écoule. La surface est un miroir, et le reflet me fascine. Les maisons sur l’autre rive. La falaise en partie couverte de végétation. Et les immeubles qui se dressent tout en haut. Tout cela baignant dans la lumière chaude du couchant. Là encore, j’ai envie de faire des photos. Il faudra que je revienne. Elle partage cette idée. Nous communions dans le paysage, Elle et moi. J’aime cette sensation.

À un moment, des gens viennent puiser de l’eau dans la rivière avec des seaux. On saura le pourquoi à la fin du spectacle. En attendant, cela provoque des ondes du plus bel effet, et une fois encore je sens des démangeaisons dans l’index droit, celui qui habituellement appuie sur le déclencheur.

À l’instant où le spectacle fait mine de commencer, je lève les yeux vers le vieux bâtiment austère qui abrite encore le lycée des Feuilants. En son milieu il est surmonté d’un petit clocheton. Il se découpe sur un ciel magnifique où nagent quelques nuages innocents ourlés d’orangé. Dans ma tête : clic, clac, merci kodak.

J’aurais voulu que tu voies ça. Pour de vrai. Mais tu vois avec mes yeux, c’est déjà ça.

Comments

[fabeli]

Pour de vrai j'ai vu avec tes yeux!

"La pénétrante", quel nom insolite pour un lieu!
ça dégage pour moi tout un imaginaire de secret, d'initiés, de fidèles s'acheminant en silence vers leurs activités mystérieuses.