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le carnet vert
29 juillet 2010

roman

Elle a cru que je faisais la tête.

Elle n’avait pas tort.

Les choses se produisent on ne sait comment. On est d’humeur enjouée. On est prêt à servir l’apéro séance tenante, et à se griser un peu. Et puis soudain.

Il suffit de peu.

Un mot.

Un mot de trop ou de pas assez.

Un mot qui n’est pas celui qu’on attend. Et tout bascule. Quel pouvoir que celui des mots.

Justement : de mots il était question.

Nous parlions de mon roman, chose peu courante. Elle n’avance pas dans la relecture, mais elle va s’y remettre, je te promets, dans deux semaines, lorsque tu seras parti, j’aurai le temps, je te promets…

Oui, mais. Ce que tu as lu, déjà ?

Ça se tient.

Voilà.

Ça se tient, rien de plus. Elle avait mis si peu d’enthousiasme dans ce ça se tient. J’ai envisagé l’autodafé. Il y avait du feu dans la cheminée. Mais non. Ruminer ça la nuit. Ça se tient. Rien de plus. Rien de nouveau. Rien qui n’ait déjà été dit. Pour moi c’est ce que ça se tient signifiait. L’inutilité du geste d’écrire. Remarque c’était déjà mieux que ça ne se tient pas. Mais quand même. C’est peut-être parce qu’elle s’affairait à mixer la soupe, ce peu d’enthousiasme. Elle était concentrée sur le mixer. Fallait pas l’emmerder avec des questions de littérature en perpétuel devenir, que ça se tienne ou non. Oui, mais. Je n’en avais cure, moi, de la soupe.

Tu crois que j’écris de la soupe ? Des heures et des jours et des semaines et des mois de travail pour faire une soupe ? C’est à vous dégoûter des légumes.

Je sais que c’était ridicule. Je devais tirer ça au clair. Ne pas rester sur une impression d’échec. Persévérer.

Elle est dans son bain et je me lave les dents. A moins que ce soit l’inverse.

Le roman ressurgit.

Je sens que tu n’aimes pas le personnage. C’est ça ? Tu n’aimes pas le personnage ?

Ça se tient, mais c’est le personnage. C’est ça.

Mon personnage n’est pas beau ? Il est incohérent ? On voit à travers ?

Non. Non, ce n’est pas cela. Le personnage est dérangeant.

Elle n’aime pas le personnage, car il est dérangeant.

Un léger soulagement.

Dérangeant c’est mieux que transparent.

S’il est dérangeant, c’est qu’il ne laisse pas indifférent. S’il ne laisse pas indifférent, c’est qu’il est consistant.

Oui, mais je préférerais que tu l’aimes, le personnage.

J’essaye de comprendre dérangeant. Mais là, on s’arrête, on ne va pas plus loin. Dérangeant, parce que cela la dérange. Parce que notre vie. Oui évidemment, notre vie. On n’écrit jamais dans le vide. On écrit la vie. On est guidé par sa vie propre, évidemment, pas par celle des autres. Celle des autres on ne la connaît jamais de l’intérieur. Les mots viennent toujours de l’intérieur.

Je ne sais pourquoi, j’ai réussi à éclaircir l’horizon. Vers midi. Avancer à grands pas sur les trottoirs de la ville, manteau ouvert sur le vent glacial. Un paquet de trucs disparates dans les mains. A la FNAC, ils ne donnent plus de sacs en plastique, alors les trucs tu te les prends dans les bras et tu te débrouilles. Le développement durable est parfois très nul.

Oui, mais le roman. Me dis-je tandis que je marche à grands pas. Pourquoi le roman ? C’est une bonne question.

Pourquoi ?

Tu passes sur un pont, et ça fait une idée. Tout vient de là. Sous le pont il y a des voies ferrées, et des wagons de fret, des tombereaux où gît de la ferraille. Tu te dis… Non, d’abord tu regardes les lieux avec une espèce de pincement d’appréhension. Pareil que quand tu attends le métro. Tu te dis, pas trop près du bord du quai. Ne pas être vulnérable plus que de raison. Il y a des fous partout. On pourrait te pousser sous la rame. Pareil avec le pont. On pourrait te balancer par-dessus la rambarde. Tu t’écrabouillerais sur un tombereau de ferraille. Bonne idée. Pour une histoire, j’entends. C’est parti comme ça. J’ai pris une ramette de papier et un crayon et j’ai écrit. Oh, ça a pris du temps. Puis j’ai mis le paquet de feuilles dans une chemise que j’ai remisée en haut d’une étagère. Elle y est restée près de quinze ans. Histoire inachevée. Parce que la vie, voilà.

Et puis un jour, bien plus tard. Tu te dis que pourquoi pas. Achever. Parce que la vie justement, avec ses mots. C’est ce qui est dérangeant, bien sûr, forcément.

Alors tu entres consciencieusement dans l’ordinateur tous les mots écrits au crayon. Et tu achèves l’histoire. Tu mets un point final. Tu relis. Une fois deux fois trois fois. Tu imprimes, tu gâches du papier, tu fais pleurer nos belles forêts, j’entends d’ici les plaintes ligneuses… Tu fais relire. Elle dit ça ne va pas. Les mots durs, les mots crus, le poids du passé : ça ne va pas. Tu te remets à l’ouvrage. Tu relis. Tu imprimes à nouveau. Tu relis encore. Tu te dis ça ne va pas. Tu mets les feuilles au feu. Tu retravailles encore. Ça prend des mois. Puis tu mets un point final. Une nouvelle fois. Tu relis et tu imprimes. Et voilà. Tu te dis, c’est fini. Presque fini, parce que tu relis, elle relit, d’autres relisent. Après ce sera fini, tu écriras autre chose.

Fini c’était l’objectif. Voilà : l’objectif est presque atteint.

Puis tu te dis : puisque c’est fini, autant l’envoyer à quelqu’un. A l’éditeur. Tu te dis aussi que tes pauvres mots. Que tes chevilles sont bien enflées, et tout ça. Chez l’éditeur ! Et puis quoi encore ? Mais pourquoi pas. Qu’est-ce que ça coûte ? Une ramette de papier. De l’encre pour l’imprimante. Un machin en plastique pour faire une reliure. Des frais postaux. Pfff. Des nèfles. Alors tu te dis que l’objectif est devenu autre chose : mettre un point final, un vrai, en l’envoyant à l’éditeur. Même si ça a de bonnes chances de te coûter aussi, en retour, un grand coup de pompes dans ton amour propre.

Avril 2010

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Commentaires
P
Dautan : merci. Et non on ne sait jamais !<br /> :-)))<br /> <br /> Fabienne : même pas de frais postaux, en fait, mais manuscrits déposés en mains propres chez 4 éditeurs parisiens. Et je vais guetter.<br /> <br /> Laurence : patience. Mais oui, au cas où. Bien sûr.
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L
décidement j'aime bien le rythme de ton écriture. on ne sait jamais...si tu es publié... tu nous fais savoir...
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F
Bon, ça, c'est fait! Bienvenue au pays de la lente patience, celle de l'auteur qui guette...
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D
Oui, mais. On ne sait jamais. Point. <br /> Bravo, en tout cas. :-)
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