dire
Il est des phrases qu’on ne prononce pas. Habituellement. Enfin moi pas.
Je l’ai fait. Je m’étonne encore. J’ai dit des mots que je ne dis jamais à quiconque. Si. Non. J’exagère. A Elle parfois je les dis, dans l’exaltation des moments de plaisir. Et je n’ai pas de mal à les dire. Parce qu’ils ne sont que la vérité.
Hier encore nous parlions,
… à propos de quoi ? Je ne m’en souviens pas…
,je te disais, les signaux positifs, on ne les renvoie jamais, on ne dit jamais ce qui est bien, on est conditionné pour ne mettre en exergue que les échecs, et le monde en souffre…
Tu me racontais qu’un de tes élèves t’avais regardée tout étonné après que tu lui as fait quelques compliments sincères sur ses progrès.
Le compliment ne se dit pas.
Ce n’est pas pour rien qu’on apprend ça dans les stages de management (mon dieu, ce jargon), à dire aux gens du positif, du gratifiant…
Elle avait besoin de parler. Elle me l’a dit, c’était vendredi, elle voulait te parler à toi, Elle. J’ai dit oui, mais pas ce soir, nous sortons, demain si tu veux. J’ai dit aussi que si elle souhaitait, je pouvais vous laisser seules. Mais non. Je suis de bon conseil. C’est ce qu’elle m’a dit.
Je ne vais pas revenir sur la douleur, la stupeur, tous les sentiments abjects qui la taraudaient et qui ne devraient jamais exister, on peut bien rêver, qui ça dérange ?
Soudain, au détour de la conversation, alors que nous mangions des pommes cuites et que j’avais la parole, je lui ai dit les mots.
Tu es belle.
Avec quelques autres, mais ceux-là, ces mots là.
Pas à toi. À elle.
Parce que je le pensais. Parce que je pensais qu’elle avait besoin de les entendre. Parce que ce n’était pas un mensonge, loin de là.
Mais ces mots.
Je n’ai pas souvenance qu’on entende ces mots dans une conversation où il est principalement question de souffrance intime.
Bizarrement ce ne sont pas des mots faciles à dire. Même s’ils enfoncent une porte ouverte.
Je ne sais même pas de quelle façon ils ont été perçus. Ni par elle. Ni par toi, mon amour.
Il y a eu un moment de silence. Très bref. Puis elle a dit, oui, mais ça ne suffit pas.
Je suis encore tout étonné de ça, des mots que j’ai dits, et de sa réponse, ça ne suffit pas, ce qui laissait entendre que mes mots à moi, elle les tenait pour acquis,…
… après ça nous nous sommes assis dans le canapé pour une tisane, nous avons rêvé un peu avec des images de la mer, du bleu, du sable, une chambre ouvrant sur l’espace, et puis…
… j’ai parlé de mes mots, de mes histoires… ça n’arrive jamais, ça. Non plus. Elle a dit c’est merveilleux. Merveilleux pour quoi ? Pour avoir osé. Oui peut-être. Mais pourquoi au fond de moi. Je n’ai pas encore cherché de réponse à ce mystère. Ça c’est fait parce que ça le devait. On dit parfois qu’il y a urgence. C’est d’autant plus étrange que ça ne répond à aucun besoin de mise à nu, juste (a priori) à une envie d’ordonnancer les mots de façon jolie. Une façon de peindre le monde que je vois. J’ai souvent dit que j’étais un lecteur impressionniste. Ça allait dans le prolongement.
Tu es belle.
Quelques jours plus tard, ces mots que j’ai prononcés me trottent encore dans la tête. Ces mots et d’autres. Qui trottent. Tu parles, qu’ils trottent. C’est une vraie cavalcade, oui. Un souk indescriptible, dans mon crâne. Jour et nuit. Nuit, hélas, et dans ces conditions comment veux-tu ne pas avoir les yeux ravagés par le manque de sommeil. C’est ce que je leur ai dit, aussi.