pluie
C’est d’une rare banalité d’écrire ceci, mais je crois que l’hiver a atteint le seuil de tolérance. La vérité c’est que je n’aime pas l’hiver. C’est banal. C’est le lot de tous. Enfin tous. On rencontre toujours des gens pour affirmer que, si, si, la neige, la glace, le vent, la pluie, tout ça…. Moi, non. C’est le manque de soleil, surtout, qui me pèse.
La pluie ruisselle sur la fenêtre de mon bureau. On peut toujours prendre les choses du bon côté. Par exemple se dire, oui c’est vrai, il pleut, ça tombe dru, et moi je suis confortablement assis à mon bureau, bien au chaud.
Il y a toujours un aspect favorable aux choses. Il pleut et je suis au sec. C’est bien. J’aurais pu décider d’aller marcher pour ma pause méridienne. M’encombrer d’un parapluie. Je déteste les parapluies. Ou alors me faire tremper. Je déteste être trempé. Mon manteau qui sent la laine mouillée, après. L’humidité qui grignote peu à peu le dessous de mes chaussettes. Non, pas ça. Mes chaussures sont en bon état.
Je préfère que l’eau ruisselle sur la fenêtre du bureau plutôt que sur les verres de mes lunettes.
Je préfère aussi penser à un ailleurs.
Penser à un autre temps. Un temps de soleil. Un temps de printemps. Un temps passé.
Je constate que si je pense à du soleil, je ne pense pas à remplacer la vue que j’ai de ma fenêtre à barreaux, l’immeuble prendrait une autre teinte, en comparaison le cèdre paraîtrait plus terne, peut-être. Et puis quand même, la surface de cette fenêtre est occupée, vue de là où je suis assis, face à mon bureau, aux deux tiers par une vaste portion de ciel. Faisons abstraction des barreaux et voyons le ciel. Gris. Pas comme Juan, non. Le ciel n’est pas cubiste. Gris terne. Uniforme. Sans circonvolution. Sans fioriture. Sans noirceur latente telle celle d’un orage. On a déjà vu, par ici des orages vert de gris, je ne plaisante pas, c’était bien la couleur, c’était effrayant, des tuiles étaient tombées à des dizaines de mètres de leurs toits attitrés. Par sécurité je pourrais me dire qu’à tout prendre, il vaut mieux ce gris terne et pour tout dire assez pale. Inoffensif. Mais aussi sans spectacle.
Penser à ailleurs donc. Puisque par association d’idée, je ne vois pas mentalement de soleil et de ciel bleu éclairer ma vitre.
Le bleu est ailleurs. Pas seulement sur le fond de mon écran.
J’ai aimé, par exemple, être assis à cette terrasse donnant sur le vieux port, avec des amis. J’avais l’impression que la vie s’écoulait doucement, pas ma vie à moi, bien sûr, mais la vie du monde et j’observais cela avec un certain ravissement. Nous mangions, comment appeler cela, je ne me souviens plus de ce qui était écrit sur l’ardoise, peut-être « l’assiette du patron », ou quelque chose d’approchant. De la salade, des crudités, du jambon, du fromage. Une part de pâtisserie, éventuellement. Rien que du simple. Et rien que du plaisir. Et il faisait beau. Une légère brise caressait mes bras nus. Je me sentais bien. Tout simplement. Pourtant je n’aime pas tellement cette ville, avec le clinquant de son port. Et ses flots de touristes. Je suis mitigé. J’y ai de bons souvenirs. Des souvenirs d’amoureux. Et aussi des choses moins gaies. De la tristesse et de l’angoisse, quelque chose qui irait bien avec le gris du ciel et la pluie qui ruisselle sur ma fenêtre.