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le carnet vert
6 février 2010

un samedi soir

Un samedi soir.

Un samedi soir froid.

Un samedi soir sans joie.

Prendre place dans une automobile.

Voir la buée se former instantanément sur les vitres. La buée envahit progressivement toute la surface vitrée de l’habitacle. La conduite sera difficile. Tant pis pour celui ou celle qui a été désigné pour cela. Dehors le froid est incisif.

Progresser dans la lueur jaunâtre de l’avenue.

Progresser dans la buée et dans le froid incisif.

Rêver d’un nid.

Rêver d’un lit.

Quelque part où il ne ferait ni froid ni humide. Un lieu qui serait privilégié.

Il y a eu des soirs de joie dans les parages.

Avant.

Autrefois aussi.

Plus maintenant.

Mentalement j’associe la lumière jaune de l’avenue à de la tristesse, à du froid. À de l’humide. À de la folie.

La folie de foncer dans les rues vides. En mobylette. Sans casque. Dans un autrefois où il n’était pas encore nécessaire et surtout obligatoire de porter un casque pour conduire les mobylettes. Dans cet autrefois où on était parfois stupéfait par le stupéfiant.

Le risque était ridicule. Autrefois. Cela se résumait à de la tristesse.

J’ai connu ces rues là. En mobylette. En solex. En sens interdit. Seul dans la nuit. Seul dans mes songes. Et dans la lumière jaune de l’avenue.

Aujourd’hui. Un samedi soir. Il y a un a priori de froid et de triste. Dans ces rues là. Dans le jaune froid de l’avenue.

Le restaurant chinois, comme un phare au bout de l’avenue. C’est une façon de dire. Le bout n’est pas le bout. Juste un carrefour. Un rond-point. Le rond-point est nouveau. Avant, c’était un carrefour merdique, très encombré. Ils ont sans doute bien fait de changer. Ou alors les gens ne passent plus par là. Du moins pas le samedi soir. Pourtant l’avenue n’est qu’une litanie de restaurants. Des chinois. Des marocains. Des pizzérias. Pas de français, de traditionnel, comme on dit. Qui mange encore traditionnel, par ici ? Personne, apparemment.

On va au chinois. Il y a eu un consensus là-dessus.

Le chinois, c’est comme un phare. Ce chinois là. Celui qu’on fréquente de loin en loin, depuis des décennies. Depuis qu’il s’est installé à la place d’un marchand de vêtements qui arborait une enseigne en forme de chapeau. Haut de forme.

On dit le chinois. Mais on devrait dire asiatique. Parce qu’on y mange aussi du thaïlandais ou du vietnamien. C’est écrit sur le menu, avec des numéros commençant par T ou V. Des numéros spéciaux. Les numéros ordinaires, c'est-à-dire sans T ou V devant sont peut-être pour les plats chinois, allez savoir.

Il y a d’autres chinois sur l’avenue. Et des marocains. On n’a jamais essayé. Aller au chinois sous-entend aller à celui qu’on connaît.

Il n’est pas très tard encore. On est même en début de soirée. Le service n’a pas commencé depuis longtemps. Il y a encore quelques places le long du trottoir, près du restaurant chinois.

On n’a pas très faim, mais on s’extirpe quand même du véhicule. Du givre s’est formé sur le toit. Le froid est incisif. L’avenue est jaunâtre. Ça n’a pas de rapport avec le chinois. On ne fait pas de jeux de mots oiseux et politiquement incorrects. On s’étonne seulement de l’obstination des municipalités à éclairer les avenues en jaunâtre.

Nous nous apprêtons à entrer dans le restaurant asiatique lorsque nous sommes abordés par deux hommes qui cherchent la prison. J’ai du mal à y croire. Nous sommes déjà prisonniers du froid incisif et de la lumière jaune, alors chercher la prison… Il n’y a pas de prison dans cette ville, leur répondons-nous. La prison est à Fleury Mérogis. Ce n’est pas très loin, mais ce n’est pas ici. A part moi, je m’étonne qu’on s’enquière d’une prison à huit heures du soir. Pour quoi faire, une prison à cette heure ? Je suppose que ce n’est pas l’heure d’un éventuel parloir. Je suppose que ce n’est pas non plus pour se constituer prisonnier. Pour ça on va chez les flics. Mais à mon avis ce sont des choses qui ne se font pas. A moins qu’ils soient censés prendre en charge un prisonnier qui a été libéré dans la journée. J’imagine le gars (ou la fille), tétanisé, pétrifié par le froid et le jaune au coin d’une avenue sans avenir. Ça m’étonne qu’on libère des prisonniers un samedi. Et les deux types qui disent que ça fait deux heures qu’ils tournent dans les environs. Evidemment ils ne sont pas dans la bonne ville. Ceci dit ils n’ont pas dû bien chercher.

J’aimerais bien leur expliquer comment faire pour dénicher cette fichue prison. Quoi qu’ils aient à y faire. Et là, je sens la panique me gagner. Parce que les lieux ont tellement changé depuis le temps de ma jeunesse. Je ne parle pas de la prison, je n’y suis jamais allé, pour quelque raison que ce soit, et c’est tant mieux. Non, je parle des environs d’où je suis présentement, sur le bord du trottoir d’une rue éclairée en jaunâtre. Je dis aux types qu’il faut partir par là, vous voyez, et puis vous passez le donjon, vous continuez tout droit, et puis, et puis, et puis… Je ne sais pas. Là. Voilà. Je ne sais pas combien il faut passer de carrefours. Je ne sais pas s’il y a des ronds-points. Je ne sais pas s’il y a des feux. Je ne sais pas s’il y a encore un peu de campagne entre ici et Fleury. Parce que ça fait plus de trente ans que je ne suis plus d’ici. Parce que tout a changé, et tout continue de changer. Et voilà qu’un autre gars arrive pour brouiller les pistes et se met à expliquer à mes deux perdus que non, non, il ne faut pas aller par là, mais plutôt par ici (pas tibulaire la direction inverse, mais presque), et je me sens tout désemparé. Presque perdu, moi aussi. Heureusement que je ne suis pas seul.

Je me dis que si les deux types ne tombent que sur des gens comme moi, ils ne sont pas près de dénicher la fichue prison. Ils remercient néanmoins. Et je leur souhaite bon courage, parce que je sens qu’il va leur en falloir réellement. Du courage.

Les deux types s’éloignent. Quant à nous, nous traversons la rue froide et jaunâtre. Non sans avoir, pour ce qui me concerne, passé une main caressante sur le givre qui orne le toit de la voiture. Je fouille mes poches à la recherche de mon couteau suisse. Peut-être que ça donne une contenance, un couteau suisse. Elles reviennent bredouilles. Mes mains. Pas de couteau suisse. Pourvu que je ne l’aie pas perdu. Dans la salle des, par exemple. Pour l’heure, je n’en aurai pas besoin, en principe il n’y a rien à couper. Allez, chaud les cœurs, ce soir on mange chinois.

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Commentaires
G
Et ça l'a faite partir que de l'écrire, ta tristesse ?
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P
GoddebyeC : en fait je devais avoir en moi une bonne dose de tristesse, c'est pour ça.
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G
Yep, tu as brillamment passé le test !<br /> J'étais d'autant plus triste lorsque j'ai cherché par curiosité maladive où ce trouvait Fleury Mérogis, à deux pas en l'occurence de là où j'ai laissé une malheureuse histoire.<br /> Autrement dit je suis assommée, mais c'est aussi et beaucoup de ma faute XD
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P
Goodbye : oui oui, c'était destiné à te rendre triste.<br /> Mais, non je déconne. J'ai seulement essayé de rendre une ambiance triste. Apparemment ça marche.<br /> <br /> TIfenn : en ce moment, on le regarde pas trop, le ciel, la nuit<br /> <br /> Caro : je ne saurais dire si j'aime bien, mais j'ai pensé que celle-ci méritait d'être contée.
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C
Ben j'ai plus faime :)<br /> <br /> le passage avec les deux gars qui cherchent la prison. j'aime bien ces rencontres foutraques.
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