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le carnet vert
23 décembre 2009

les corps

La plupart des hommes portaient de lourdes bottes et des tenues de protection.

L’enfant les regardait agir.

L’enfant était horrifié.

Tous ces corps agonisants lui faisaient peur.

Parfois on lui demandait de porter un seau. Parfois on lui demandait de porter à l’un ou à l’autre tel ou tel instrument de torture.

Il voyait tous ces corps agonisants.

La vie qui s’enfuyait des corps lui faisait peur.

Il s’imaginait lui-même ainsi. Il se disait que peut-être un jour il finirait ainsi. Le corps agonisant. Agité de faibles mouvements à peine perceptibles. De simples tressaillements. Il fallait un œil avisé pour les percevoir. Les tressaillements.

Les corps étaient comme morts, et cela lui faisait peur.

Son œil était avisé. Il voyait les tressaillements.

Parlons-en de mon œil, se disait-il.

Une nouvelle vague d’horreur sans nom le submergeait à l’idée qu’un jour son œil à lui pourrait être ainsi vitreux, blanchâtre, comme tourné vers l’intérieur, tandis que sa vie quitterait son corps.

Il regardait la terre craquelée.

Il regardait la rigole animée encore d’un mince courant. Là où les corps agonisaient.

Il faisait tous les efforts du monde pour que la vie reste encore un peu à l’intérieur de son propre corps. Sa tête s’enfonçait dans le creux de ses épaules, il se donnait ainsi la sensation de rétrécir son cou, il se sentait ainsi moins vulnérable. Il contractait les muscles de son ventre. Il serrait les fesses.

Serrer les fesses. Une expression que sa mère utilisait à l’envi. En alternance avec faire de l’huile. Il comprenait mal la signification de ces expressions là, si tant est qu’il y en eût. Il pensait que sa mère était très imaginative.

Maman. Pensa-t-il.

Que faisait maman ? Pourquoi n’était-il pas resté près d’elle ?

Il voulait maman.

Il fermait la bouche et serrait les mâchoires. Ça aussi c’était pour retenir la vie à l’intérieur de son corps. C’était préventif. Comme serrer les fesses et contracter ses abdominaux. Au cas où. Parce que pour l’instant sa vie à lui ne faisait pas mine de s’enfuir. Il n’était pas agonisant.

Il songea fugitivement que les corps feraient mieux de fermer la bouche eux-aussi, et de serrer les mâchoires, au lieu de bâiller bêtement.

Il regarda la terre craquelée, tranchée par la rigole sinueuse où se débattaient encore quelques corps. Il voyait là un champ de bataille.

Il était horrifié.

Il avait envie de vomir.

Il pensa s’enfuir, mais comment ? Pour aller où ? Marcher ? C’était si loin. Maman était si loin.

Et puis il était presque un homme lui aussi, non ?

On l’avait chaussé de bottes lui aussi. Des bottes moins lourdes que celles des hommes, mais quand même. Il un vêtement ciré à sa dimension, lui aussi.

Il faisait partie des hommes, lui aussi, en dépit de son jeune âge.

Il aurait dû être fier de ça.

D’ailleurs il avait été fier.

Et puis il portait des seaux et des instruments. C’était sa tâche. Il s’en acquittait au mieux. Il pouvait être fier de ça.

Mais les corps agonisaient. Et cela lui faisait horreur. Les corps gluants, couverts d’écailles.

C’est ainsi qu’il décida, enfin que son corps décida à sa place, que le poisson agonisant lui faisait horreur. Il n’aimait plus le poisson. À compter de ce jour, il ne mangerait plus de poisson.

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Commentaires
P
J'espère que le saumon était bon, Bleck.
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B
Tu me fais penser qu'il faut que je ferme ma boite blanche, j'ai un saumon à préparer...<br /> <br /> Bleck
Répondre
le carnet vert
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