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le carnet vert
19 novembre 2009

lecture

Comme chaque matin il trouva une place libre dans le deuxième wagon du TER. Dans le sens inverse de la marche. C’est souvent dans ce sens-là que les places sont libres. Il se dit que le sens dans lequel il était assis n’avait pas d’importance. Jusqu’à maintenant il n’a jamais remarqué de sensations désagréables en étant assis dans le sens inverse. Alors il se demande pourquoi les gens.

Il n’a pas pris la peine d’ôter son manteau pour le mettre dans le filet à bagages. Il se dit que ça ne vaut pas la peine. Son trajet est court. Tout juste un quart d’heure. Il monte à l’arrêt précédant le terminus. Entre parenthèse il ne pourrait pas non plus poser son manteau, et son cartable, sur un des sièges l’entourant. L’un d’eux est occupé par une voyageuse (côté fenêtre, dans le sens de la marche). Les deux autres sièges seraient théoriquement libres, mais la voyageuse les a déjà colonisés : l’un pour son manteau, l’autre pour son sac et son écharpe. Il remarque que le sac est ouvert et laisse apparaître un fouillis duquel émerge un porte-monnaie en cuir noir. Il se dit que si le train freine brutalement, le sac peut tomber et se renverser, et ainsi son contenu risque de se répandre dans tout le wagon. Il se dit encore que les femmes sont comme ça, que c’est la croix et la bannière pour obtenir qu’elles ferment leurs sacs à main. Il se rappelle qu’il a déjà dû chercher les affaires de son épouse sous les sièges de la voiture pour une raison similaire. Mais il n’y à rien à faire. Il n’y a que dans le métro qu’elles le font, fermer soigneusement leur sac, et le tenir tout contre leur poitrine comme s’il s’agissait d’un nouveau-né. Mais ici il n’y a pas de métro, on est à la campagne.

Il aurait pu prendre un livre dans son cartable et entreprendre la lecture de quelques pages. Mais il n’a pas de livre dans son cartable. Il ne lit pas dans le train. Pas le matin. Le soir, il prend le temps de lire un article ou deux dans un magazine en attendant que le train s’élance. Le train est à quai bien avant le moment où il doit s’élancer. Si la gare est le terminus dans un sens, elle est la tête de ligne dans l’autre. En principe. C’est assez logique. Quoique la logique ait peu à voir avec les contingences ferroviaires. La preuve : le vendredi soir, le train part une demi-heure plus tôt que les autres soirs, sans raison aisément discernable.

Il pourrait avoir un livre dans son cartable. Cela lui rappellerait sa jeunesse parisienne. Il lisait beaucoup dans les transports en commun. Il lisait beaucoup partout. Il était la lecture en personne. Aujourd’hui il se lamente de ne pas lire assez. Il lit au lit. Il n’y peut rien si le livre lui tombe sur le nez au bout de quelques pages. S’il avait un livre dans son cartable, il pourrait lire un peu dans le train. Pas plus de quelques pages. Un quart d’heure passe vite. Il ferait ainsi comme la plupart des voyageurs. Ils ne regardent pas le paysage. Ils lisent. La plupart lisent des journaux.

Il remarque un homme qui lit une bande dessinée. C’est assez peu courant. Certains voyageurs lisent des livres. En général ils lisent des romans. En général les voyageurs qui lisent des romans sont des voyageuses. Il se dit que s’il lisait un livre, là maintenant, dans le TER, il se démarquerait. Parce que, bien que n’étant pas une voyageuse, puisqu’il est un homme, lui aussi lirait un roman. Il n’aime pas bien lire autre chose que des romans. Entendons, quand il lit pour le plaisir. Pour le reste, sa vie professionnelle est largement jalonnée de rapports volumineux et de notes de service. Sans parler des mails. Il se dit que s’il lisait pour le plaisir dans le train, donc un roman, il échangerait peut-être un fugitif regard de connivence avec la voyageuse qui n’est pas tout à fait assise face à lui, elle étant côté fenêtre et lui côté couloir. Cette voyageuse lit un roman. Comme bon nombre des voyageuses solitaires. Les voyageuses qui sont en groupe d’au moins deux personnes papotent, elles ne lisent pas.

Il se dit que s’il lisait un roman dans le train et qu’il échangeait plusieurs matins de suite un regard de connivence avec cette voyageuse-ci, peut-être finiraient-ils par échanger quelques considérations littéraires. Mais il ne lit pas. Il n’a pas de livre dans son cartable. Et il préfère regarder la jolie jeune femme qui est assise un peu plus loin et qui vérifie son maquillage dans un miroir de poche. Il ne l’a encore jamais vue, celle-ci. Elle est pourvue d’une valise. C’est une voyageuse occasionnelle.

Il se dit qu’il ne lit pas parce que cela perturberait ses pensées. Il est d’ailleurs tout étonné d’avoir pu remarquer les autres voyageurs et les voyageuses, et d’avoir échafaudé toutes ces théories fumeuses quant à la lecture au lieu de continuer à penser à ce qui occupe largement son esprit, notamment le matin, parce que, comme chacun sait, le matin fait suite à la nuit et que la nuit est propice à la pensée, sinon à la lecture. Il se dit que sa pensée à lui, la nuit, en admettant qu’il ne dorme pas, ce qui hélas lui arrive souvent, n’est pas entièrement dédiée à des anticipations de faits professionnels ou domestiques, non. Sa pensée se meut souvent en direction du texte. L’histoire qu’il porte en lui, qu’il a mis laborieusement non pas sur papier, cela ne se fait plus guère, mais sur un support numérique, une histoire pourvue d’une phrase initiale et d’un point final, une histoire terminée alors ? Et bien non, l’histoire n’est pas terminée. Il se dit qu’elle ne sera peut-être jamais terminée. Qu’il la polira et repolira sans cesse. Qu’elle sera peut-être vraiment terminée le jour où il la verra imprimée et brochée. Et encore, en admettant que ce fait se produise un jour, même après il trouvera des améliorations à apporter ici ou là. C’est comme ça, c’est difficile de se satisfaire pleinement, définitivement de ce qu’on a produit. Il se dit qu’il est comme ça, lui, en tous cas.

Une voix annonce que le train arrive à son terminus dans quelques instants, que les voyageurs sont invités à ne rien oublier à leur place, que pour les correspondances il faudra consulter les panneaux lumineux à l’entrée des souterrains, que la compagnie des chemins de fer et le conseil régional vous souhaitent une bonne journée et à bientôt.

Il s’échappe de ses pensées et se joint aux autres voyageurs et aux voyageuses qui se hâtent, qui vers leur labeur quotidien, qui vers une correspondance aventureuse, par exemple les jeunes femmes pourvues de valises et arborant un maquillage impeccable, revu et corrigé pendant le trajet avec l’aide d’un miroir de poche.

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Commentaires
C
Ca y est j'ai pu rattrapper le temps de toutes façons perdu ;o)<br /> <br /> J'aime bcp ce texte il y a une patte, un souffle, qui continue et qui s'arrête. Et qui va bien au voyage en ter ou en métro.
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P
Aline : je ne prends le TER que depuis le début du mois, alors je n'ai pas encore l'habitude. Plutôt un oeil neuf. Et inquisiteur.<br /> <br /> Teb : Merci. Content que ça te plaise.<br /> <br /> Brigou : ce n'était pas si facile que ça à faire, parce qu'il faut essayer de rester cohérent et lisible.<br /> <br /> Caro : ok. Je vais voir.
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C
je n'ai tjrs pas de connexion mais j'ai posté une réponse à ton tag....
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B
J'aime ce cheminement de la pensée assis dans un train... chaque chose en entraîne une autre !
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T
Il n'a pas de livre, mais il lit le paysage humain !!!<br /> Et tu le "racontes" très bien !
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le carnet vert
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