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le carnet vert
4 juin 2009

la ville aux chats

Ils étaient accoudés au muret, en haut du grand escalier qui monte de la place d’Espagne.

Leurs regards erraient au loin, par-dessus les toits hérissés d’antennes, vers des monts bleus dont ils ignoraient le nom.

Il tendait la main vers les monts bleus. Il disait, regarde !

Elle regardait.

Ils étaient bien. Malgré la fraîcheur du matin. On était en décembre. La ville était toute pavoisée en prévision de Noël.

Sans parler ils regardaient les monts bleus au-delà des toits.

Elle fouillait dans son sac et en tirait les cartes postales et les timbres. Qu’elle lui tendait. C’était à lui que revenait la tâche d’écrire.

Les cartes postales.

Sous prétexte qu’il aime écrire. Il se laissait faire. Il ne pouvait nier que d’autres tâches lui incombaient à elle, qu’elle n’aimait pas, ça non, même en cherchant quelque prétexte. Alors à chacun son job, voilà.

Accoudé au muret, il répartissait les cartes entre les destinataires possibles. En fonction des chats. C’étaient des vues avec des chats. C’est une ville connue pour ses chats.

Il écrivait les cartes.

Quelques mots griffonnés vite fait. Il écrit mal. Ce serait illisible. Quelle importance ? L’essentiel lorsqu’on reçoit une carte est de savoir que, de là-bas, n’importe où, on a une pensée affectueuse. Ils n’envoyaient des cartes qu’à ceux pour qui ils ont des pensées réellement affectueuses, la famille, quelques amis, et encore, pas à tous. Loin de là. Il y a des accords tacites pour dire que les cartes non merci. Même si ça fait toujours plaisir de les trouver dans la boîte aux lettres. Les cartes. Mais non merci parce qu’on sait qu’on a la flemme d’en adresser à son tour, voilà. Lorsqu’on voyage on a le droit d’être paresseux.

Il écrivait les cartes.

Et pendant ce temps elle allumait une cigarette.

Il se distrayait de ses cartes.

Forcément.

Malgré les chats.

Parce que près de lui elle fumait.

Il aimait la voir fumer. Même si ce n’est pas bon pour la santé. Elle tirait sur la cigarette et il en voyait le bout rougeoyer. C’est plus facile quand il fait nuit, évidemment, mais même en plein jour on peut voir rougeoyer le bout des cigarettes quand une fumeuse tire dessus, il suffit d’être attentif.

Il aimait la voir fumer. Il aimait la voir plisser les yeux en fumant. Il aimait la voir exhaler un reliquat de fumée. Qui se mêlait à son haleine. Parce qu’il faisait frais, on était en décembre.

Il aimait la voir exhaler la fumée. Il aimait la voir aimer ses propres exhalaisons.

Elle.

Toujours si belle.

Il la revoyait, autrefois, il l’avait photographiée, elle s’était laissée photographier, c’était un miracle, c’était dimanche, même si c’était un autre jour de la semaine, ils étaient grimpés devant des ruines qui se confondaient avec un paysage de garrigues quelque part dans le sud. Elle fumait et il l’avait photographiée. Elle si belle. Et la fumée aussi, sur la photo en noir et blanc, devant les garrigues.

Et là encore il voulait la photographier, en haut des escaliers de la place d’Espagne, là où il y a des chats, mais elle ne se laissait pas faire, et quel dommage, elle si belle.

Elle fumait et il voyait quelque chose d’érotique dans ses façons. Elle si belle.

Il aimait bien la voir fumer. Malgré que c’est écrit sur les paquets que fumer tue. Un jour il lui avait acheté une pipe et un paquet de tabac. Il avait envie de la voir fumer la pipe. Il y avait une fille qui faisait ça dans sa classe au lycée. Il avait trouvé ça érotique. Que la fille fume la pipe. Même si elle s’habillait dans de vieilles nippes des surplus de l’armée. On disait surplus américains. Les américains ne gardaient donc pas leurs vieilles nippes chez eux ?

Cette pipe, c’était comme un fantasme. Il aimait la voir la fumer. Il aimait la voir fumer. Il aimait la voir. Il aimait.

Elle si belle.

Elle se cachait pour fumer la pipe. Elle disait je ne veux pas qu’on me voie. C’était dommage. Il aurait préféré la voir fumer en toute circonstance. C’était un fiasco en quelque sorte. Un fantasme idiot. Elle ne voulait pas être un fantasme. Un fantasme ça se rêve ça ne se vit pas.

Il observait son profil, son œil qui se plissait quand elle tirait sur le mégot, la fumée qui montait dans le ciel clair.

Il aimait la voir fumer.

Il l’aimait.

Pour l’éteindre, elle écrasait le mégot sur le muret. Elle cherchait une poubelle où le jeter. Le charme était rompu. Celui de l’instant, pas le sien à elle.

Elle demandait où il en était de ses cartes. Pas loin, disait-il, pas loin. Ah quel manque d’inspiration aujourd’hui. Tu finiras plus tard, disait-elle encore, il fait froid.

Et ils redescendaient vers la place d’Espagne.

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Commentaires
P
Ben oui, j'aime le baiser cigarette. D'ailleurs, Elle est sortie fumer, il faut que je me prépare à...<br /> :-)
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F
Pas d'accord avec pralinette! Je ne fume plus depuis longtemps, mais un "baiser cigarette", ça, j'aime...
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P
J'en sais rien, Aline, je ne fume pas.
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P
Ah zut alors, tout ce temps perdu à la regarder fumer... et son haleine alors, ça devait être beurk...<br /> J'ai rêvé ou bien sur les paquets il est écrit que "fumer rend impuissant" ? j'rigole pas hein !
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