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le carnet vert
28 mai 2009

angélique

Je me suis brossé les cheveux. J’ai appliqué du rouge sur mes lèvres, un rouge discret. Je me suis mis un peu d’ombre à paupières. Ça, je ne le fais pas tous les jours. Je ne suis pas très douée question maquillage. Il faudra que je pense à prendre des cours, tiens, je sais que ça existe, j’ai même repéré une boutique de maquillage bio, en ville, qui faisait ça.

Je me suis regardée dans la glace. Je me suis trouvé un air angélique. Excellent.

J’ai mis ma robe noire en soie, celle que François aime bien. Elle est un rien affriolante, assez fendue. Pas transparente, j’ai horreur de ça. Pas trop courte, je ne suis plus une gamine. Oh, je sais bien pourquoi il l’aime, cette robe, je vois déjà le désir s’allumer dans son regard ! Mais je n’ai pas le temps de marivauder, j’ai du boulot.

J’ai enfilé ma veste de soie grège. Elle va bien avec la robe. Et puis il peut faire un peu frais. Je n’aime pas avoir froid.

J’ai eu une idée sublime : le chapeau. Un chapeau, ça en jette méchamment. Surtout celui-ci, une capeline à larges bords. Rouge.

Je me suis encore regardée dans la glace. Pas mal. Je ne passerai pas inaperçue, c’est probable. Mais dans un sens, pour ce que j’ai à faire, ce n’est pas plus mal.

J’ai pris la clé pour ouvrir mon tiroir secret, celui où je range mes outils de travail. J’ai fourré les trucs dont j’ai besoin dans mon sac, un vrai sac de fille, avec plein de bordel dedans. Si François devait fouiller dedans, il s’arracherait les cheveux. Mais il n’a pas à faire ça. C’est interdit. Mon sac, c’est chasse gardée. J’ai jeté un dernier coup d’œil dedans, la seringue était là, mon paquet de clopes aussi, mon briquet aussi, mon grand porte-monnaie aussi, les dragées aussi. Mon bouquin pour lire dans le train aussi. Je lis un vieux polar des années 50. Du mouron pour les petits oiseaux. J’adore cette gouaille. Marcel Carné en a fait un film.

J’ai cherché mes escarpins rouges pour aller avec le chapeau. Je n’ai trouvé que le gauche. Merde. Impossible de trouver l’autre au milieu de mes dizaines de paires de godasses. C’est dommage, je suis vachement à l’aise dans ces pompes-là. Impec pour le boulot. Malgré le talon haut. Et puis elles sont super sexy. Et je suis sexy. J’aime me sentir sexy. Même si je ne sais pas me maquiller. Quand je les ai achetées, ces chaussures-là, j’en ai pris deux paires identiques, tellement j’étais bien dedans. Un peu chères, certes, mais je venais d’empocher le fric d’un contrat, j’avais bien le droit de me faire plaisir. Et d’ailleurs ça faisait aussi plaisir à François, je l’ai bien vu à son œil concupiscent. Les godasses de l’autre paire, elles sont bleues. Celle-ci je les ai trouvées, pas de problème. Alors vous savez l’idée de génie qui m’est passée par la tête ? J’ai mis la chaussure rouge orpheline à gauche, et une chaussure bleue à droite. Audacieux, non ? Je suis sortie comme ça du dressing, assez fière de moi.

Je suis entrée dans le bureau pour dire à François que je sortais. Il a levé le nez de son ordinateur et m’a jaugée de la tête au pied. Il a levé les yeux au ciel et a hoché la tête horizontalement, se passant de tout commentaire. Il me trouvait ridicule, voilà. J’ai eu envie de lui casser la gueule pour ça, mais je me suis retenue. Ça pouvait attendre mon retour, s’il était toujours dans les mêmes dispositions. Pour le moment, je n’avais pas le temps, j’avais du boulot.

J’ai aperçu le type au moment où il entrait dans le musée. J’y suis entrée aussi, en priant le ciel qu’il n’aille pas se farcir les masques aborigènes ou des trucs comme ça ; il y avait une exposition sur le jazz, ça me paraissait un peu plus fun. Je l’ai suivi au guichet où ils vendent les billets. Bingo. Ce serait le jazz. Je me la suis jouée discrète, pour commencer. J’ai erré quelques minutes dans le jardin. Je me suis amusée de l’architecture bizarre du bâtiment, avec la Tour Eiffel en toile de fond. Je me suis dit qu’il faudrait que je revienne avec un appareil photo, il y a sûrement des choses à faire. Je suis entrée tranquillement dans l’expo. Ce qui est amusant, dans ces musées, c’est qu’à l’entrée ils font ouvrir d’un air soupçonneux les sacs à dos, les cabas et les choses comme ça, mais les sacs à mains des filles, jamais. Même ceux qui sont un peu grands. Les valises non plus. Enfin je ne vais quand même pas aller bosser en traînant une valise. Je dis ça, hein, je n’invente rien. Devant moi, il y avait deux africains avec des grosses valises. Le cerbère leur a dit de les descendre au vestiaire mais il ne les a pas fait ouvrir pour autant.

Serge Fournier. C’est le nom du type. Je l’ai rejoint dans la salle de la Nouvelle-Orléans. Il était absorbé dans l’examen d’une théorie de vieilles pochettes de disques. Je me suis approchée de lui l’air de rien. Il m’a regardée et j’ai fait un grand sourire, un du genre qui fait fondre les cœurs.

J’ai laissé aller quelques minutes, puis je l’ai ferré à nouveau dans la salle du be-bop. Grands sourires enjôleurs. Il m’a souri aussi. Pas mal, ce mec, vraiment pas mal. Il a regardé mes pompes, et là il a ri franchement. Mais un rire sympa, hein, comme pour me féliciter de mon audace. Pas pour se moquer de moi. On le sent, ces choses-là.

Vous aimez le jazz, a-t-il demandé ?

Evidemment, ai-je répondu. Même si en vérité je n’y connais rien.

Nous avons continué la visite de l’exposition ensemble, en devisant à voix basse de tout et de rien. Il était bien sympathique, ce type. Dommage que je n’étais en sa compagnie que pour le boulot.

A la sortie, il m’a proposé de prendre un thé. J’ai accepté avec chaleur, même si j’aurais préféré boire une bonne bière allemande. Mais une nana, ça boit du thé, non ? J’ai récupéré mes affaires au vestiaire et nous sommes sortis. J’ai jeté un œil nostalgique au jardin, au bâtiment bizarre, il faudra que je revienne, c’est sûr. Pas la Tour Eiffel, non, je n’aime pas ce meccano géant.

J’ai dit au type, on ne pourrait pas marcher un peu au bord de la Seine, avant ? De toute façon il n’y a pas de troquet digne de ce nom, dans le coin, c’est un quartier fantôme. Et encore moins de salons de thé. Nous avons déambulé un peu avant de nous asseoir sur un banc dissimulé derrière des buissons.

Je l’ai regardé dans les yeux. J’ai mis tout mon amour dans ce regard. J’ai souri. Il a souri.

Pendant que nous parlions encore, tout en souriant, j’ai sorti des trucs de mon sac, et puis j’ai soulevé adroitement le côté fendu de ma robe. Je suis experte en la matière.

Je l’ai regardé droit dans les yeux tout en souriant.

Puis j’ai visé le cœur. Je fais toujours ça.

Plop.

Il s’est affaissé lentement, en s’appuyant sur mon épaule. Nous avions déjà l’air de deux amoureux, mais personne ne pouvait nous voir, j’en étais sûre.

J’ai dévissé le silencieux et je l’ai rangé dans mon sac, dissimulé dans le grand porte-monnaie.

J’ai remis le flingue dans son étui, fixé à ma hanche droite (vous ne croyiez quand même pas que je l’aurais laissé dans le sac, si ?). Dans le bouillonnement du crêpe, ça ne se voit pas, je vous assure. J’ai rabattu d’une main experte le côté fendu de la robe, et je me suis levée.

Je me suis éloignée rapidement, ni vue, ni connue.

Machinalement, alors que j’attendais mon train, j’ai regardé mes pieds et ça m’a fait sourire. Une pompe rouge et une pompe bleue. C’est ça que François trouvait le plus ridicule, pour sûr. Peut-être bien que s’il insiste, je vais vraiment lui casser la gueule en rentrant, ça me défoulera.

Et quand je pense qu’on dit que le ridicule ne tue pas.

Texte publié dans le cadre des Impromptus littéraires

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Commentaires
J
Nothomb n'est pas toujours totalement magnifique, mais de temps à autre, on y trouve des bijoux. Ses meilleurs sont ses autobiographies.<br /> <br /> Mais j'ai bousillé le titre ! Après avoir lu Les Catilinaires et Les Combustibles, j'ai mis Les Hirondelles, mais c'est plutôt Journal d'Hirondelle.<br /> Maille mi-stèque. ;-)
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P
Merci TJ
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T
Surpris! Oui...<br /> J'ai lu tes lignes avec plaisir, comme d'habitude!
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P
Un commentaire qui me touche au coeur, Valérie !<br /> ;-)
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V
Bra-vo!<br /> J"ai tout lu d'un souffle. Je me suis posé mille question, ai imaginé tout un tas de choses, mais pas cette chute-là. C'est réussi!
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