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le carnet vert
5 mai 2009

le grand marronnier

Elle est déjà venue ce matin. Elle a sonné, elle a téléphoné, sur un fixe, sur un portable. Elle n’a entendu que les phrases incolores récitées par le répondeur. Elle a sonné encore. Sans succès. Pourtant elle savait qu’il était là, quelque part dans la maison, terré au fond de son monde à lui. Ou de son absence de monde. Ou pire encore. Elle savait qu’il était là : la voiture était stationnée devant la maison.

Elle sait qu’il est là. Cette fois les fenêtres sont grand ouvertes sur le doux soleil d’octobre et sur le grand marronnier qui roussit imperturbablement au coin de la rue. Elle sonne pour qu’il vienne lui ouvrir. Elle téléphone. Toujours sans succès. Alors elle grimpe en équilibre sur le muret qui borde le jardin. Elle se hausse sur la pointe des pieds. Par-dessus la haie de troènes elle regarde par la fenêtre grande ouverte, et elle le voit, assis sur le divan, immobile. Inerte.

Avec ses clés à elle, elle ouvre la grille, elle ouvre la porte d’entrée. Elle fait un pas dans le salon. Il est là, assis sur son divan, immobile. Sur la table basse une bouteille de vin est à peine entamée. Sur le tapis s’étend une large tache violacée de vin récemment renversé. Du regard elle cherche l’autre, la bouteille vide. Celle qui l’a rendu immobile. Inerte. Elle ne trouve rien. Elle va voir dans la cuisine. Rien. C’est un mystère.

Elle s’assoit sur un fauteuil, face à lui, et elle parle. Elle questionne, elle veut comprendre. Parfois un gargouillis inaudible vient en guise de réponse. Ou un ricanement. Elle parle. Elle rassemble dans ses mots tout ce qu’elle est capable de trouver en elle comme douceur. Pour dire son amour. Cela ne cache pas son angoisse ni sa peur ni sa déception. Ni la colère tapie en elle. Elle parle longtemps comme cela et il la regarde d’un œil vide, immobile sur son canapé, incapable du moindre mouvement.

Elle va dans la cuisine chercher la salière. On dit qu’il faut mettre du sel sur les taches de vin maculant les nappes blanches. Elle verse du sel sur le tapis et passe frénétiquement une éponge humide sur la tache. Cela lui donne une contenance, car elle n’en peut plus de parler dans le vide. Elle se rassoit et reparle encore. Cela ne change rien. Lorsqu’au prix d’un effort qui semble surhumain il se lève enfin, pour la raccompagner, il chancelle. Elle doit le retenir de tomber. Sur ses jolies chaussures à elle, il y a du sel.

Dehors, dans le soleil d’octobre, le grand marronnier du coin de la rue continue de roussir doucement.

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Commentaires
P
n'est ce pas au lecteur ou à la lectrice d'imaginer la suite ?
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F
Il doit bien y avoir une suite...<br /> Que deviennent ces deux personnages? Quels chemins de vie choisissent-ils de prendre? lumière? ténèbres? Et le grand marronnier? le verrons nous au printemps, en été, en hiver?
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P
Oui, difficile...
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S
Difficile de sortir quelqu'un de sa prison car les portes sont souvent fermées de l'intérieur
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P
la suite ?
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