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le carnet vert
16 février 2009

futile écriture

Derrière des livres qu’on n’ouvre plus, derrière des livres à la tranche grise de poussière, sur l’étagère peinte en rouge, gisent d’épaisses liasses de papier d’un format ordinaire, de celui dont on alimente couramment les imprimantes et les photocopieuses.

Derrière les livres, les liasses de papier sont enserrées dans des chemises cartonnées qui semblent avoir été beaucoup manipulées. Il y en a une verte, par exemple, qui présente un aspect tout cireux, et puis elle a des déchirures qui ne trompent pas, là où claquent les élastiques de fermeture.

Là où sont censés claquer les élastiques, là où ils claquaient. Avant.

Car qui viendrait lire ces mots oubliés là, ces mots-là oubliés. Des mots jaillis dans l’enthousiasme d’un passé révolu. Ce passé : une ou plusieurs strates inaccessibles sous la couche éphémère du présent.

Les mots du passé tissent des histoires qui ne seront pas publiées, des trames où s’entrecroisent les fils du vécu avec ceux du rêve.

Les mots ne seront pas publiés parce qu’ils sont devenus futiles.

Par exemple Je (le mot, une jeune femme) : est-elle folle ? Bien sûr que non. Juste assez dérangée pour être l’hôtesse d’un établissement psychiatrique. Juste assez sage pour s’en échapper, et s’enfuir en Italie, laissant derrière elle son enfant. Son corps se crispant encore dans des accès de rage. Son geste le plus fou, penchée à une fenêtre d’un étage élevé, faire tournoyer son appareil photo en le tenant par la courroie et finir par le fracasser sur le mur. Son geste le plus sage, encore ne s’agit-il pas d’un geste à proprement parler, un état plutôt, de la détente, tandis qu’elle écoute un enregistrement de son père au piano scandant une reprise du Caravan de Duke Ellington.

Que sait-il exactement, celui qui peint les mots, des jeunes femmes dépressives qu’on conduit un jour dans un établissement psychiatrique ? Rien, évidemment. C’est pour ça que c’est futile, ces mots qu’il pose sur le papier au format ordinaire. Des mots qu’il peint, se plait-il à dire. C’est ce qu’il se dit, que les mots sont futiles, ceux qu’il pose tels des papillons sur les pages blanches. C’est pourquoi un beau jour les feuilles blanches sont enfermées à jamais dans des chemises cartonnées gisant derrière des livres poussiéreux. C’est pourquoi les crayons ne sont plus taillés non plus.

Il avait neigé.

Et puis cela avait été le printemps et l’été.

Et puis les feuilles des grands chênes avaient recommencé de tomber.

Le tissu des mots était superficiel, on voyait le jour au travers. Se disait-il. Ces histoires sont futiles, se disait-il encore, dans la strate du passé, tandis qu’il ramassait des champignons sur la pelouse d’un établissement psychiatrique. Oui : des champignons. Des cèpes, pour être précis.

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Commentaires
S
Futiles ? Pour le lecteur inconnu, (et ce n'est même pas sûr; il y a des résonances étranges parfois) mais peut-être salutaires pour celui qui les a posés sur le papier.
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F
Il a peut être été nécessaire que les mots soient posés sur du papiers pour devenir "futiles" et faire moins mal?
Répondre
le carnet vert
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