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le carnet vert
8 décembre 2008

mon tendre amour

Le train file dans la nuit.

La voyageuse écrit.

Penchée sur la tablette, de l’autre côté de l’allée centrale, elle écrit. La masse de ses cheveux lui couvre le visage. Des feuilles de papier s’étalent devant elle, en désordre, certaines encore vierge, d’autres déjà couverte de son écriture.

Je la considère avec étonnement.

Il y a peu encore, enfin je crois, elle dormait recroquevillée sur la banquette. Elle s’était alors couverte de son manteau. Quant à moi j’étais plongé dans l’action de mon polar. Du classique. Une héroïne sur laquelle les griffes des méchants se referment progressivement tel un étau impitoyable.

Ma voyageuse a dû être dérangée par la masse des gens montés à Saint-Pierre. Amusant le contraste avec la première partie du trajet, le wagon n’étant alors occupé qu’au tiers ; la voyageuse dormait et derrière moi, deux femmes se racontaient leurs vies à voix mesurée. Tandis que maintenant qu’une foule de gens a envahi les places libres lors de l’arrêt à Saint-Pierre, le train bruisse de nombre de conversations qui s’entrechoquent, de stridences assenées par les téléphones portables, d’emballages de sandwiches froissés et d’un tas d’autres sons que je ne prends pas la peine d’identifier.

La jeune femme qui écrit, la voyageuse, a déjà noirci plusieurs feuillets. Ou plus exactement bleui. Elle écrit à l’encre bleue.

Involontairement je me fais voyeur. Mon regard tombe par hasard sur la première page de ce qui semble être une longue lettre, dont elle poursuit frénétiquement la rédaction sans soucier de ce qui l’entoure, hermétique au monde, retranchée dans l’acte d’écrire.

Mon tendre amour. Non, pas point. Virgule. Ainsi commence la lettre, après qu’elle a indiqué en haut à droite, comme on le fait toujours, le lieu et la date. En l’occurrence : TGV, 24 novembre 2008. Ce n’est pas mal vu, n’est-ce pas. Le TGV n’est nulle part : il se contente de foncer dans la nuit. De relier une ville à une autre, plus grande.

Mon tendre amour. Je suis un peu honteux d’avoir volé ces mots qui ne me sont pas destinés. Je n’essaie pas, surtout pas, d’en savoir plus. Je ne suis pas d’un naturel indiscret. De plus mes verres progressifs ne me permettent pas de distinguer facilement ce qui se trouve sur les côtés de mon champ visuel.

Mon tendre amour. Des mots qui donnent un peu de vague à l’âme, de ceux qu’on échangeait il y a longtemps, lorsqu’on ne se côtoyait pas au quotidien. Des mots qu’on écrivait. Et je te revois, qui courrais parmi les genêts et les châtaigniers, par un jour de mistral. Par-dessus ta robe tu portais un gros pull de laine chinée que tu avais tricoté toi-même, et tu riais, tu riais, tandis que je ne me lassais pas de t’admirer. J’ai gardé le cliché en noir et blanc que j’avais pris alors que tu dévalais ce sentier cévenol.

Le convoi ralentit. Les gens se lèvent, prennent leurs bagages dans les filets. Je me lève aussi. Le tain s’arrête. La porte s’ouvre dans un chuintement. Tout le monde descend, nous sommes au terminus. Au moment de rejoindre le quai, je me retourne : la voyageuse est la seule personne encore assise, penchée sur son ouvrage, la masse de ses cheveux lui couvrant le visage. Elle n’a pas fini sa lettre.

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Commentaires
T
Au risque de me répéter, ta façon d'écrire me plait vraiment beaucoup. J'attrape le premier mot et j'attrape le dernier avec une telle facilité! Je ne fais pas d'effort, cela me semble si fluide...
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F
Quel beau voyage!!! merci phil!
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