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le carnet vert
2 octobre 2008

une page se tourne

J’avais un léger pressentiment. Une angoisse sourde m’étreignait, m’empêchant d’admirer, comme je l’avais fait à maintes reprises, la campagne émergeant doucement de l’obscurité et prenant progressivement les teintes chaudes du levant.

Bien plus loin, alors que le jour était complètement là, je n’avais encore pas levé le nez de mon livre, tandis que le train filait vers sa destination sans que nul n’ait à déplorer le moindre retard (fait exceptionnel), et que la boule d’anxiété me gênait toujours.

Je me rendais à une séance de travail dans la capitale, qui ne requérait de moi aucun investissement hors du commun, et je ne voyais pas a priori ce qui pouvait bien justifier ce mal-être singulier.

C’est pourquoi j’avais ce pressentiment.

Le train est arrivé à bon port et à l’heure. Rien n’est venu entacher le trajet en métro qui m’amena au centre de la ville.

Ce n’est qu’au moment d’entrer dans le café où j’ai contracté quelque habitude, quoique fort sporadique, que j’ai éprouvé un net soulagement. Tout en étant tout déconfit. Car le lieu était fermé, et définitivement. Certes il fallait bien que ça arrive un jour, les tenanciers étant visiblement assez près de prendre leur retraite. Sauf que, n’étant pas venu dans le quartier pendant les mois d’étés, je n’étais pas préparé au fait.

J’étais soulagé, disais-je, parce que mon trouble préalable n’était justifié que par ça. Plus tard dans la journée, aucun autre événement ne viendrait infirmer cette observation. On pourrait sans doute conclure aussi que j’étais inquiet sans aucune raison particulière, et que le fait de trouver ce bar fermé était un élément suffisamment frappant pour que j’en fasse la cause même de cette gêne, me libérant du coup pour le reste de la journée. Admettons.

C’est dommage que le café soit fermé définitivement, et qu’une page se tourne. J’arrivais, je posais mon sac ou ma valise, cela dépendait des jours, sur le carrelage à l’ancienne et je m’accoudais au zinc. Je commandais un café. Il était même parfois inutile de le faire, le patron me servait sans qu’aucune parole n’ait été échangée. Il n’était pas disert. La patronne non plus. Ils avaient un côté débonnaire qu’on comprenait en dehors des mots. Il n’y avait pas de musique ni de radio débitant des pubs idiotes (grossier pléonasme, je sais, je sais). Il n’y avait pas toujours non plus d’autre client. Ce silence de bon aloi me plaisait. Tout comme j’aimais m’immerger dans ce décor d’un autre âge, le même peut-être qui existait déjà avant que je sois né. J’exagère peut-être un peu, mais, je le jure, le carrelage couvrant le sol était de la même veine que celui qu’il y avait dans le pavillon de mes parents, il y a de cela…, disons quelques décennies. Et puis les tables en formica, les banquettes couvertes de moleskine et les vieilles chaises de bois ne semblaient pas être de première jeunesse. Pas plus que le zinc, que le patron astiquait consciencieusement, mais qui en avait vu, des tasses et des bocks.

Tout ce mobilier était à vendre. C’était écrit sur la vitre, derrière laquelle un rideau de fer était irrémédiablement baissé. On peut donc bien se dire que l’établissement va rouvrir un jour. C’est possible. Mais ce ne sera plus comme avant. Il faudra y glaner un plaisir différent. Peut-être. Ou passer sa route.

Mon café s’appelait, s’appelle encore, le Mimosa. Je frémis déjà à l’idée du nom idiot dont on ne manquera pas de le rebaptiser. Je suis pessimiste. Peut-être. Mais le quartier est assez fréquenté des touristes, quoique le café soit un peu dissimulé dans une rue peu animée. Je me demande si je ne serai pas pris d’une sorte de colère si un jour je vois écrit sur la façade le genre de termes abscons qu’on lit maintenant un peu partout, tels que « lounge » ou bien « happy hours ».

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Commentaires
S
Tu penses qu'il va réouvrir en bistrot ?<br /> Ce sera peut-être Le cybermimosa et tu pourras venir y poster tes notes !<br /> ;-)
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