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le carnet vert
29 septembre 2008

oblicité

P1050627

Je mentirais si j’affirmais tout de go avoir retrouvé le train de mon enfance. Un des trains de mon enfance. Un que je n’ai pas pris souvent mais qui m’a fortement marqué, modeste autorail rouge et blanc, mais qui enchaînait une telle enfilade de tunnels et de viaducs, dans un paysage qui est devenu l’emblème de ce qu’ils appellent aujourd’hui la « ligne des hirondelles ».

Je mentirais pour deux raisons. La première c’est que j’ai pris place dans un TGV, chose dont on était bien loin de soupçonner l’existence probable lorsque j’avais huit ans. Remarquez, ce TGV ci n’était pour moi pas trop banal, il roulait sous les couleurs des chemins de fer helvétiques. La deuxième raison est que le parcours qu’emprunte ce TGV ne rejoint la ligne des hirondelles qu’à Andelot, c'est-à-dire pas très loin de là où brusquement finit la montagne.

Le TGV va vite, certes, et c’est un progrès indéniable. Mais cela fait longtemps qu’il me gâche mon plaisir du train. Il est vrai qu’associé à des obligations professionnelles, le train n’incite pas précisément à la bonne humeur. Bon, j’y montai donc sans envie. J’étais neutre, on va dire, grâce au fait que j’étais en vacances. Sauf que le wagon dans lequel ma place était réservée était déjà occupé en grande partie par un groupe d’asiatiques qui pépiaient au point qu’on avait l’impression d’entrer dans une volière. Je n’ai rien contre les asiatiques, notez, ni contre qui que ce soit en général. Ils auraient été africains, j’aurais dit un groupe d’africains, etc.. Mais voilà : ils étaient asiatiques, et ils s’interpellaient d’une voix aigue, c’est comme ça, je n’y peux rien, et je n’ai pas de raison de travestir la réalité. Bref ça démarrait mal. Heureusement le train roulait sur la voie unique à une allure de sénateur qui me laissait largement l’occasion de me délecter du paysage, alternance de hautes futaies d’épicéas et de grasses prairies où paissaient benoîtement les montbéliardes. De plus la brume matinale qui s’attardait sur le plateau eut soudain la bonne idée de disparaître. Le soleil brillait. Le paysage était riant. Mes montagnes étaient d’une beauté à couper le souffle. Regarder par la fenêtre était quasiment une jouissance.

Croyez-vous que les autres passagers se seraient abandonnés dans la contemplation d’une telle beauté ? Les gens doivent être blasés, revenus de tout, même quand ils sont manifestement des touristes et que leur seul devoir de touriste est de regarder. Eh bien non, ils ne regardaient rien. Et même, non contents de ne rien regarder, ils étaient gênés : j’ai dit que le soleil brillait. Si bien qu’un pignouf n’a pas trouvé mieux que de baisser le rideau juste devant ma fenêtre. Vous imaginez ça ? Je n’ai pas osé protester parce que je pouvais encore voir par d’autres vitres, mais quand même quelle idée !

Il me semblait que ce TGV descendait aussi lentement que les autorails d’antan. Sans doute est-ce dû à la pente. Sans oublier que le tracé de la ligne est loin d’être rectiligne. Une brève vague de nostalgie me submergea soudain. Je me revoyais enfant, vaguement triste d’être dans le train du retour, mais heureux à la fois à l’idée d’embrasser bientôt mes grands-parents, il ne restait plus que quoi, cinquante kilomètres, une bonne demi-heure… Je fermai les yeux un moment. Et j’eus alors conscience de la pente. Le train roulait à l’oblique, c’était sensible. Je regardai dehors : nous atteignions le vignoble. Au loin on apercevait le clocher d’Arbois. Je me concentrai sur ma sensation. Descendre. Descendre encore. Sentir l’oblicité. Je savais que dans quelques secondes ce serait fini, nous roulerions dans la plaine.

Un quart d’heure plus tard je débarquais sur le quai de chez nous. Je n’avais pas de bagage, je remonterais le soir. J’étais comme une parenthèse dans le flot modeste des voyageurs lourdement chargés. Il faisait chaud. Un des rares jours de chaleur de cet été. Il faisait moite. Quelques heures plus tard l’orage gronderait, on pouvait en être sûr.

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