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le carnet vert
12 février 2008

écrire

Un jour j’ai écrit ceci : j’ai trente-sept ans et je n’ai encore rien écrit. Ce n’était pas vrai, bien sûr. En écrivant ces mots j’avais peut-être le sentiment de poser la première pierre de quelque chose. Cette courte phrase aurait pu être la phrase initiale d’une œuvre reconnue. Oui, une œuvre, pourquoi pas. Chacun rêve bien d’apporter sa propre contribution à la postérité, n’est-ce pas. Chacun rêve bien d’avoir écrit un jour quelque chose comme « j’avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » *. Et puis les choses ne se passent pas comme ça. Le rêve conserve son état immatériel. Aucune œuvre ne débute par j’ai trente-sept ans et je n’ai encore rien écrit. Ou alors je l’ignore et je n’en suis pas l’auteur. Pourtant j’ai écrit. J’ai gardé la petite phrase en réserve pour autre chose, et je me suis lancé. Je me suis armé d’un crayon de graphite (je ne concevais pas d’écrire au stylo, et encore moins au clavier de l’ordinateur, qui à cette époque était encore un objet, comment dire, exotique), d’une ramette de papier au format A4, et je me suis jeté dans l’écriture. Je noircissais les feuilles l’une après l’autre, je rayais parfois, et même il m’arrivait de gommer. Mais relativement peu, et je détestais me relire. Des personnages naissaient et s’évanouissaient. Une histoire se tramait. Je possédais là ce qui pouvait bien constituer les prémices d’un roman. Et puis un jour, bien plus tard, je me contraignis à mettre un point final au texte. Je dis que c’était une contrainte, parce que j’aurais aussi bien pu continuer indéfiniment. Ainsi la fin venait épouser le début. Plus exactement je triturais la fin et le début afin qu’ils se correspondent parfaitement. Il me semblait en effet nécessaire de boucler la boucle, comme on dit, de former comme un cercle. J’étais heureux alors du devoir accompli. J’avais produit quelque chose. Fier et fort de ceci, j’en ai parlé à un de mes professeurs d’IUT, également écrivain reconnu, que j’ai rencontrée fortuitement lors d’un salon du livre. Elle n’était pas opposée à ce que je la recontacte lorsque je serais prêt. J’avais dans l’idée, non sans raison, que j’étais le seul à pouvoir relire mon écriture peu esthétique, je me suis donc attelé lors des mes temps libres à la dactylographie des quelques deux cent à trois cent pages que j’avais pondues, que je numérotais religieusement, et que j’enregistrais sur disquettes non moins religieusement. La tâche s’est poursuivie sur quelques semaines, voire quelques mois, je ne sais plus, et s’est trouvée achevée peu de temps avant que nous partions en vacances dans le sud-est. J’ai fourré ma liasse de papier dans une chemise à rabats et, sur notre lieu de villégiature, j’en infligeai la lecture à mon épouse en guise de livre de chevet. Je ne sais pas au juste ce que j’attendais d’Elle. Toujours est-il que, sa lecture achevée, je me trouvai fort désappointé du manque d’enthousiasme qu’elle manifesta. Au moins je ne pouvais pas la taxer de complaisance. Bon, à dire vrai elle n’est pas du genre à se répandre facilement en compliments. Elle a bien commencé à dire qu’il y avait des choses pas mal. Mais. Il y avait un mais. Selon elle je n’avais pas pris assez de distance, ma propre histoire était bien trop visible derrière les heurs et malheurs de mon personnage, même si le texte était rédigé à la troisième personne, et la chose n’était absolument pas publiable en l’état. En admettant qu’un éditeur se fourvoie dans l’aventure, bien sûr. Evidemment elle avait raison. J’étais déçu, mais je lui ai fait confiance. Comme par ailleurs je n’avais aucune envie ni aucune intention de triturer ce que j’avais écrit pour en extraire le miel, j’ai donc remisé la chemise à rabats et son contenu en haut d’une étagère, où elle se couvre patiemment de poussière depuis des années. Allez, on ne peut pas y arriver du premier coup, me disais-je. J’ai donc récidivé. Même méthode : ramette de A4, crayon à papier, gomme, puis ensuite seulement, ordinateur, disquettes et tout le tremblement. Cette fois j’ai pris soin de ne pas me mettre en scène dans la peau de mon personnage. Celui-ci était d’ailleurs une jeune femme que je faisais parler à la première personne. Et à l’imparfait. A vrai dire, j’ignore si j’ai réussi. Ce deuxième texte a rejoint le premier, dans une autre chemise à rabat, en haut de la même étagère, là où la poussière s’accumule le plus facilement. Les difficultés familiales que nous avons vécues juste à ce moment là ont fait que, d’une part j’ai perdu momentanément le désir d’écrire, mais en plus les textes que j’avais produits me semblaient d’un tel ridicule que j’en ressentais presque de la honte lorsqu’incidemment il m’arrivait d’y penser. Pire que ça, l’acte d’écrire, du moins de tenter d’écrire de la fiction, m’est soudain apparu d’une immense futilité en regard des épreuves que je traversais (et que je tairai ici). Si je dis maintenant que j’ai tel âge et que je n’ai rien écrit, ce ne sera pas vrai, bien sûr, puisque ce qui est fait est fait. Et puisque j’ai pris l’habitude, des années plus tard, de livrer dans les pages de ce carnet vert interactif les souvenirs et les impressions qui me passent pas la tête, et que vous lisez parfois. Ce qui suffit à me combler.

(* Paul Nizan, Aden Arabie)

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Commentaires
C
Peu importe à quel âge on commence à écrire <br /> Bisous et bonne journée
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F
Y aurait-il un âge pour écrire?<br /> et puis jamais 2 sans 3, qui sait?
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C
Que je lis parfois? Non; que je lis très fidèlement, toujours avec le même bonheur. Ça fait pas mal de temps déjà; il doit y avoir une raison.
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