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le carnet vert
20 décembre 2007

transport

Assis parmi la foule attentive, je me laisse envahir par la musique.

Je scrute (autant que ma vue défaillante me le permette) les gestes et les mimiques de chacun : le batteur, qui semble rire à chaque rafale de baguettes, comme s’il se gaussait après une bonne blague ; le contrebassiste, massif, qui vibre autant que son instrument, et qui se lève parfois pour mieux le prendre à bras le corps, et l’attaquer d’un vif coup horizontal ; le saxophoniste enfin, le moins mobile des trois, mais qui détient les clés de la mélodie.

Ce sont des virtuoses. De grands noms du jazz français. Si je vous dis que leur musique illustre le continent africain, inspirée par les œuvres d’un photographe de renom, vous trouverez facilement de qui il s’agit. Peu importe. La foule, nombreuse, est captivée. Il y a de quoi : c’est une musique solide comme un roc, nette, sans bavure. Un rouleau compresseur sonore. Personnellement je préfère un jazz plus mélancolique, moins parfait. Je suis un adepte du style série noire, avec gémissements déchirants des cuivres, piano désespéré et verre de scotch à portée de main. Et pas de clope, je ne fume pas, tant pis pour l’image.

Ce n’est pas grave, la musique est bonne et je me laisse volontiers envahir. Parfois je me surprends à fermer les yeux. Effet de la fatigue certes, et malgré la puissance du son, je sens que je pourrais sombrer, mais aussi, disons spontanément, comme pour réaliser un rêve d’évasion.

Assis parmi la foule attentive, je me fais transporter par la musique.

Je ferme les yeux vous dis-je, j’oublie les reflets métalliques de la scène, j’oublie la chemise rouge du contrebassiste, tandis que ses compères sont en noir, j’oublie d’osciller dans le rythme imposé par les quatre cordes de l’instrument. J’oublie qu’Elle est à mon côté, son épaule contre la mienne.

J’oublie tout. Je ferme les yeux, je voyage.

Je ne me transporte pas en des immensités sahariennes ni le long de fleuves habités d’hippopotames. Je ne connais pas ces lieux. Il n’y a pas de place pour l’imagination, non. Je ferme les yeux, et j’aperçois des couleurs et des horizons enfouis en moi depuis plus ou moins longtemps.

Des scènes défilent sans liens entre elles, dans le mouvement syncopé du son.

Je suis dans ma chambre d’adolescent. Je tourne et retourne une pochette de 33 tours passablement usée. Une fois de plus j’essaie en vain d’identifier ce que représentent ces formes sombres sur fond bleu turquoise, tandis que ce que crachote le tourne disques évoque en moi les voyages en train de mon enfance, particulièrement les instants où notre convoi dominait les méandres étroits de l’Armançon, dans son écrin de vertes prairies. Puis, peu après, ou alors peu avant, cela dépendait du sens, la scansion des boggies éclatait soudain en un tonnerre assourdissant tandis que nous pénétrions dans le tunnel de Blaisy-Bas.

Je suis encore adolescent. Dehors, cette fois. Nous avons emprunté un petit chemin à travers champs et nous sommes maintenant à l’ombre éparse des peupliers, non loin du village où nous séjournons, dans une partie de son cours où la rivière s’assagit quelque peu (la musique s’assagit quelque peu). Assis sur un rocher, à l’ombre, mon père lit son journal. Je demanderai plus tard les résultats de la précédente étape du Tour de France. Ma mère et ma sœur nagent dans un trou d’eau aux reflets verts. Quant à moi je soulève les pierres plates tapissant un endroit peu profond afin d’y débusquer les écrevisses.

Je suis accoudé à une fenêtre de notre maison actuelle. Nous attendons des invités. Au-delà des prés environnants, je surveille le coude que dessine la route, à l’ouest. C’est possible, les haies de thuyas (des thuyas à la campagne ! Misère !) ne sont pas encore trop hautes. Nos amis tardent à arriver, par contre l’horizon s’anime insensiblement, il se pare de volutes sombres, et me parviennent les grondements encore lointains d’un orage (la batterie crache des grondements orageux).

Je ne saurais me rappeler de tous les horizons disparates qui se rappellent à moi ce soir-là. Assis parmi la foule attentive, les yeux fermés, je vois même, je me demande pourquoi, de courtes robes rouges et le visage d’Alain Souchon dans l’Eté Meurtrier.

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Commentaires
S
Hummmmmmmmmmmmmm un trio tip top comme je les aime
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P
Syl, Fabeli : Joyeux lendemain de noël !<br /> Il s'agit du trio Aldo RomanO, Louis Sclavis, Henri Texier.
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F
mentale au rhytme de TA musique personnelle. Je n'ai pas des connaissances très solides en jazz, un style que j'apprécie pourtant beaucoup mais je suis la seule de mon entourage, alors je voudrais bien que tu me donnes le nom des musiciens que tu as écouté. merci de contribuer à élargir mon horizon musical :))
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S
C'est étonnant le pouvoir du jazz, le pouvoir de transport de cette musique. As-tu jamais réussi à écouter un seul concert de jazz sans partir de cette manière ?
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