la manne
Y a de la manne, disaient les anciens en prenant des airs de vieux sages, tels que j’aurais bien vu leurs visages burinés marqués de peintures ocres et blanches comme celles arborées par les peuples des grandes prairies d’Amérique.
Tiens, le grand-père d’Elle le disait à l’envi, y a de la manne. Il prononçait la phrase mystérieuse en postillonnant, et ce faisant, ses traits s’animaient de gourmandise. Par la fenêtre il me montrait un point indistinct au bord de la rivière, et moi je ne voyais rien de précis, alors il m’entraînait dans les marches escarpées qui menaient au jardin, et je pouvais enfin constater, ça et là sur la rive, des endroits jonchés de blanc, comme s’il avait neigé en plein été.
Y a de la manne.
J’ignore d’où vient cette expression qui m’est revenue en tête hier soir, à la nuit tombée, tandis que nous roulions sur le pont de Lussac. Il y avait de la manne en effet, ces espèces de papillons éphémères qui voletaient de manière erratique dans le faisceau de nos phares, en nombre assez peu remarquable. Le lieu est propice au phénomène et j’ai déjà vu passer ce pont à travers un nuage grouillant de ces bestioles, toujours nuitamment, les réverbères étant alors rendus fantomatiques comme au plus profond d’un épais brouillard. En y passant de jour, on retrouvait alors le pont et ses abords entièrement couverts d’un blanc terne et volatile.