convalescence
Je sortais de convalescence. Non, même pas. Si je me souviens bien, j’étais encore en convalescence. Vers la fin. On m’avait opéré de l’appendice.
Ce jour-là, je n’avais rien trouvé de mieux que d’accepter l’invitation de mon copain Thierry, celui-là même qui m’avait rendu visite à la clinique le lendemain de l’opération, m’apportant tous les volumes des aventures d’Achille Talon qu’il avait pu glaner à la bibliothèque de l’entreprise. Dès que j’ouvrais un des albums, je commençais par être plié de rire à la vision du premier gag, et aussitôt je devenais plié de douleur, c’en était atroce.
Ce jour-là, donc, cela faisait plusieurs semaines que j’étais sorti de la clinique, et à l’instigation de mon copain Thierry, nous nous étions retrouvés à cinq ou six gars, plus deux ou trois épouses dont la mienne, attablés dans le restaurant alsacien dont la ville s’enorgueillissait alors. C’était un midi, en semaine, la plupart des autres devaient retourner au boulot ensuite. Moi, j’étais encore tout faiblard. Ça n’empêchait pas mon assiette d’être garnie d’un monceau de choucroute fumante, avec tous les accessoires utiles et délicatement fumés. Ça n’empêchait pas non plus mon verre de se remplir régulièrement d’un riesling aux beaux reflets dorés. On m’objectera que c’était très futé, pour un convalescent. Mais notre philosophie douteuse, à mes copains et moi, était qu’il fallait s’endurcir pour hâter toute guérison. Passons.
Oui, passons, parce que ce jour-là le pire était encore à venir. En l’occurrence dès la sortie du restaurant. Parce que cet animal de Thierry, qui devait nous reconduire chez nous, n’avait rien trouvé de mieux que de garer son Audi sur le parking de la DDE voisine. Parking non fermé certes, mais réservé néanmoins aux véhicules pourvus du badge approprié. Badge dont l’Audi était démunie puisque Thierry ne travaillait pas à la DDE, mais dans mon entreprise à moi. Total, pendant que nous bâfrions notre choucroute, un gros malin de la DDE avait trouvé subtil de planter sa R5 juste derrière l’Audi afin de l’empêcher de sortir. C’était manifestement là l’œuvre d’un emmerdeur, puisque par ailleurs il restait d’autres places libres. J’imaginais bien le type (ou la nana, je ne suis pas sexiste) irascible, sûr de son bon droit, que vous vous rendez compte, que c’est pas normal, qu’on va voir de quel bois je me chauffe, et gnagnagna, etc… Le con fini, quoi. Toujours est-il que nous étions coincés. Alors que croyez-vous donc qu’il s’est passé ? Vous vous dites sûrement ils sont allés chercher l’imbécile heureux dans les tréfonds de sa valeureuse administration et l’ont ramené par la peau du dos pour qu’il dégage sa caisse à savon. Vous vous dites ça, je suis sûr. Et bien pas du tout. Comme j’étais avec des gars costauds (et pas bien à jeun, il faut le dire), on s’est mis à tous pour soulever la bagnole et la porter ailleurs, de préférence à un endroit où l’autre aurait des problèmes pour la récupérer. Oui moi aussi. Et vous auriez entendu les hurlements de frayeur qu’Elle a poussés ! Parce que j’étais convalescent, je le rappelle.