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le carnet vert
22 mars 2006

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Entendez-vous ?

Par delà le calme du voisinage qui n’exprime que regrets et souvenirs, on entend bruire la vie qui poursuit son cours avec insouciance. Là retentissent fugaces comme des traits sonores les vrombissements des autos sur l’avenue. Plus loin c’est le moteur d’une tronçonneuse qu’on lance. Le regard capte quelques thuyas ou cyprès qui dépassent des enceintes des jardins. C’est le printemps, des branches vont tomber. Et puis on perçoit les grincements d’un train qui manœuvre dans le triage proche, ce bruit familier de mon enfance ; lorsque nous venions là, je donnais la main à l’un de vous, et j’étais heureux de passer sous le pont du chemin de fer, parfois mes yeux émerveillés s’écarquillaient au passage des convois qui s’élançaient au rythme de halètements puissants, tandis que l’odeur de suie planait un moment sur nos têtes ; aujourd’hui il n’y a plus depuis longtemps de suie et de halètements, mais les trains sont toujours là à manœuvrer sur les voies de triage ou à s’élancer vers les monts bleutés qui se dressent dans le lointain. Et pourquoi souvent venions-nous là, où vous ne restiez pas encore, je l’ignore. Peut-être vouliez-vous vous-mêmes redevenir des enfants et donner en rêve la main à vos grands-parents.

Par delà le calme du voisinage, le clocher de la basilique égrène son carillon et je me revois dans le sombre appartement de la rue Pasteur où il rythmait ma rêverie tous les quarts d’heure. On dirait que tous les oiseaux des environs viennent de se réveiller pour y répondre, des petits, qui pépient gaiement dans les hautes ramures, des pies qui jacassent, un couple de tourterelles qui s’éloigne en froufroutant, les corneilles qui lancent leurs croassements de circonstance.

Entendez-vous la vie qui bruit autour de nous ?

Ce sont des pensées ordinaires que je vous livre ainsi. Le constat de cette pulsation qui nous entoure. Et cela suffit bien que je vous livre des mots simples. Vous n’avez jamais raffolé des phrases. Je vous livre mes pensées sans que mes lèvres se desserrent, sans que j’émette un son, je préfère rester à l’unisson du calme environnant. Je regarde autour de moi : il n’y a pas âme qui vive. N’empêche j’aurais l’air de quoi si on me surprenait occupé à un soliloque.

Je suis venu les mains vides, vous voyez, mu par une impulsion, l’envie de vous livrer mes pensées. Non je ne parle pas de ces pauvres fleurs fanées qui font triste mine sur la pierre grise, dans leur bac de plastique marron. Je ne sais pas si vous aimez ce plastique marron. Moi je le trouve laid. Mais dans le doute, je le redresse, je n’aime pas ce qui est de travers, je le dispose bien parallèle au bord moussu de la pierre. Et puis je ramasse aussi un pot garni de fleurs en tissu délavé, que le vent a bousculé un jour. Est-il à vous, est-il à un de vos voisins, je n’en sais rien, j’ai peu de sens de l’observation pour ces choses là. Allez je vous le donne, il est moche aussi, ce pot, mais il est à vous, c’est décidé.

Tenez, voici le couple de tourterelles qui revient déjà. L’entendez-vous ?

Ça met un peu d’animation dans le quartier, ces oiseaux. Je trouve que le hasard a bien fait de vous donner un peu de hauteur. Parce que vous savez, en bas, près de l’entrée le long de l’avenue, la vie bruit d’une façon beaucoup plus étouffée, comme timide, alors qu’ici…

Je me baisse pour effleurer des doigts le gris rugueux de la pierre. Marrant mais jusqu’ici je n’ai jamais eu cette idée, cette envie de toucher, comme le besoin enfantin de vous donner la main. Il y a un peu de mousse, et des petits paquets de terre laissés par d’anciens pots de bruyère. Il faudrait nettoyer tout ça. Peut-être ? A moins qu’un peu de désordre ne soit pas pour vous déplaire.

En me relevant, mon attention s’accroche à une plaque toute sombre posée sur une tombe de la travée voisine, avec ce seul mot gravé : regrets. Un mot que je me mets à prononcer intérieurement, à retourner en moi en fronçant les sourcils, comme si c’était une friandise que je n’aime pas, un truc à l’anis par exemple. Quoi ? Je n’ai pas de regret, moi, et c’est heureux qu’il n’y ait rien de tel disposé sur la pierre grise et rugueuse. Pas de regret, non, juste le souvenir des moments heureux vécus avec vous, et qu’il me faut venir raviver de temps en temps.

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Commentaires
P
Michèle, François, le seringat est de l'année dernière, bien sur :-)
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F
et très belle photo aussi.<br /> Merci à Michèle de m'avoir donné le nom de cette fleur ... je suis beaucoup plus à l'aise avec les fleurs sauvages.
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M
beau texte et ces fleurs de seringat l'agrémente admirablement, leur odeur semble arriver jusqu'ici .
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P
merci, Pralie.<br /> ;-)
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P
Très très beau texte...
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