le vert du talus
Le printemps est à peine arrivé qu’il semble déjà vouloir se volatiliser. Pourtant je n’ai pas rêvé. Si ? Je sais, le rêve est l’essence même de ceux qui écrivent. N’empêche qu’il m’a bien semblé voir dans le jardin, tandis que je taillais rosiers et fruitiers, quelques narcisses et crocus me faisant de l’œil. Et ma première violette. J’aime particulièrement les violettes. J’aime qu’il en pousse un peu partout sur la pelouse, entre les pierres, au ras des marches du perron. Inutile de songer à les planter ici ou là, ça ne marchera pas, elles surgissent là où elles l’ont décidé. Je suis fort aise que mon jardin leur plaise, dans tout son désordre rustique. Je n’ai pas rêvé. J’ai vu le printemps éclater d’un vert cru au ras des talus. Je l’ai vu piqueter l’herbe d’une constellation de fleurs jaunes dont j’ignore le nom. Je le sais, je suis passé seize fois devant. Je n’ai pas rêvé je suis encore tout endolori des neuf cent kilomètres parcourus au volant d’un chargement de bois, ce week-end. Comme chacun l’imagine, les bûches ne se sont pas chargées toutes seules dans la benne, non plus que déchargées. Huit cordes, huit allers-retours dans le ronronnement lancinant du moteur : mon dos et mes bras s’en souviennent. Mais la joie d’une nature riante occultant le pare-brise poussiéreux n’a pas de prix.