l'arbre aux écus
Quai Saint-Bernard, deux arbres frères émergent du pavé : un vert et un jaune. Certaines feuilles montrent un liséré d’une autre couleur, du brun par exemple. Nous sommes aux prises avec un kaléidoscope végétal. Je n’avais jamais prêté attention à ces arbres d’une autre ère essaimant partout dans la ville. Ils ne sont pourtant pas de première jeunesse. Peut-être Buffon en a-t-il planté certains dans le jardin ad hoc, il n’est pas si loin. Une fillette s’avance en louvoyant comme un gros frelon rose, instable sur son vélo. Elle me regarde regarder l’arbre. C’est beau, dit-elle. Bien sûr que c’est beau. Sinon pourquoi le photographierais-je ? La fillette veut se rendre compte, toucher les feuilles, voire les fruits. Je délègue la tâche à son père. Pendant ce temps je déclenche en jaune, en vert, en mélange. Je me laisse atteindre par le bruissement du vent dans les branches, parfois couvert par le moteur des chalands descendant le fleuve. Le couchant miroite. Les vagues m’attirent, tel un aimant. Le père de la fillette n’est pas botaniste, il ne connait pas le nom des arbres. Ginkgo, lui dis-je. Je ne sais pas le prononcer correctement alors j’épelle. Cet homme est joueur : tandis que je me joue des reflets sur l’onde, il vient à moi en riant. Sentez-moi ça, s’écrie-t-il. Je m’attends à quelque chose de suave, et me voici déçu. Le fruit de l’arbre magnifique exhale une puanteur digne d’un camembert bien fait. Sous un autre arbre de la même veine, une femme ramasse les baies tombées. Pourvu qu’elle ne compte pas se lancer dans quelque activité confiturière. Elle me dément d’ailleurs : elle projette un semis, duquel elle espère une ribambelle de petits ginkgos.