flou
J’ai passé une demi-heure dans le flou artistique. Ce rituel revient régulièrement, il me suffit de prendre place dans le fauteuil du coiffeur. Cette notion de flou soi-disant artistique me rappelle le temps où les photos de modèles graciles et savamment dénudés étaient systématiquement floutées par une sorte de brume que, personnellement, je jugeais intempestive. L’effet était tellement proche de ce qu’on perçoit à travers des lunettes sales que je n’en voyais pas l’intérêt. Ce jugement n’engage que moi, bien entendu. Tout ça pour dire que, dépourvu de mes chères lunettes, je ne vois guère plus loin que le marbre sur lequel le figaro dépose ses instruments de torture. Ce que je trouve sidérant, c’est le grand miroir me faisant face, qui me renvoie le spectacle de la rue façon Hamilton. Bien sûr je me fais une idée générale de ce qui se passe. Je suis capable de différencier moto, voiture ou autobus. Mais de là à reconnaître la marque de l’engin. De même, je suis bien incapable d’identifier les personnes hantant le trottoir. Leurs silhouettes évanescentes me rappellent soudain une vision des Grands Boulevards peinte par Renoir. Un dernier coup de ciseau, le coiffeur me tend mes lunettes. Ah, je me sens mieux, soudain.