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le carnet vert
17 octobre 2011

les pies

Vos noms écrits en lettres d’or, comme un besoin de lire de la couleur tandis que tout se dilue dans un lavis grisâtre, paraît-il de saison. Si ça se trouve les feuilles des érables ont été ratissées. À moins que je ne les voie pas. Peut-être que mes yeux ne m’obéissent plus. Qu’ils ne voient qu’un gris de circonstance. Dans la voiture nous nous sommes emparés d’un parapluie marron, un réflexe que nous n’avons pas souvent. Il ne nous appartient pas. Le gravier crisse sous nos pas. Même humide, le gravier crisse. Je me demande si dans mon enfance les allées étaient déjà couvertes de ces petits cailloux blancs. Elle s’accroche à mon bras, celui qui tient le pébroque déployé. Elle se serre contre moi. Il fait froid. Le froid et l’humide nous donnent une idée de décembre. Avec deux mois d’avance. Nous frissonnons. Nous ne sommes pas équipés, hormis le parapluie.

Une femme remplit son arrosoir au robinet. J’oublie de m’en étonner. Pourtant le ciel pleure. Nous remontons l’allée. Mon regard se porte sur ces croix étranges qui ne sont pas des croix, des croix sans bras, en marge de l’alignement blanc et interminable dévolu à ceux qui sont tombés au champ d’honneur.

Plus haut, nous avons tourné devant la tombe de l’enfant. On ne sait pas quel enfant. Un enfant. Une petite sépulture sertie de blanc. Cet enfant pourrait avoir mon âge, si ça se trouve. Il était là avant vous. Elle me donne la main. Nous déchiffrons vos noms, écrits en lettres d’or. Je remarque ces grosses  pivoines de plâtre. Étaient-elles déjà là la dernière fois. Difficile à dire. Je constate que je ne retiens pas ce genre de détails. Seuls vos noms, sur la pierre grise. Je regarde autour de moi. Tout est en place comme toujours,  à commencer par le haut clocher de la basilique et par les projecteurs qui, la nuit éclairent les voies de triage. Ça va, je suis rassuré. Nous sommes chez nous.

Dans les frondaisons proches, des pies discutent. Leur conversation devient presque assourdissante. Vous souriez, je vois. Ce bruyant voisinage vous sied. Je me demande s’il n’y a pas là comme un jeu de castagnettes, ou alors le vacarme des cigales. Est-ce vraiment un hasard. Les pies jacassent. Et je me souviens de ces après-midi d’automne, quand ma grand-mère nous servait le thé sur la toile cirée. Elle ouvrait une boîte de biscuits, qu’elle appelait des croquets, et nous n’osions refuser de goûter quelque chose d’un peu rassis. Et puis elle nous montrait les photos de là-bas, je ne sais plus si elle les avait collées dans un album, ou si elles s’entassaient dans une boîte à chaussures. Nous regardions d’un œil assez indifférent ces vues des Baléares d’une grande banalité, bien que nous-mêmes n’ayons jamais mis les pieds dans ces contrées, n’y ayons même jamais songé. Tout était plus ou moins consternant. Le soleil semblait terne, de même que la mer et les palmiers. Mais dans les yeux de ma grand-mère, et dans sa voix, chantaient les guitares et les cigales.

Nous restons cinq minutes, peut-être moins. La durée importe peu. L’essentiel est de ressentir la chaleur de ce chez nous là, non loin des voies ferrées, avec maintenant des pies qui jouent des castagnettes en haut des arbres. Et en nous le souvenir d’un modeste thé en sachet. Je reprends le parapluie. Nous nous éloignons sur le gravier qui crisse.

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Commentaires
C
J'aime beaucoup de texte, l'émotion qui s'en dégage et les souvenirs que l'on conserve dans nos boîtes en métal
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