reflex
Nous sommes entrés dans un magasin de photo. Nous avons testé plusieurs zooms pour le reflex d’Elle. Et puis j’en ai choisi un. Je le lui ai offert. Et soudain m’est venue une sorte d’envie fulgurante, celle de tenir en main un objet précieux comme un stylo, auquel ma paume et mes doigts se seraient habitués, un peu comme s’ils l’avaient modelé. L’envie de river mon œil à un viseur. D’y cadrer les paysages en m’efforçant de leur appliquer l’esthétique qui me plait. L’envie de tourner les bagues. L’envie de la pression de mon index droit sur le déclencheur.
Ça me manque, de manipuler les bagues d’un reflex. Ça fait des années. J’ai perdu l’usage.
Je revois une route.
Peut-être l’emprunterai-je la semaine prochaine. Une de ces routes qui s’élèvent au dessus de Lons, à l’assaut du premier plateau. Je m’étais arrêté à un endroit dominant une reculée. J’étais seul. Il faisait beau. Le paysage était grandiose et me tendait les bras. C’était mon pays.
J’ai attrapé ma musette sur la banquette arrière de la 4L. En ce temps-là, mon appareil gisait dans une musette détournée de son usage militaire, toute taguée au feutre noir indélébile. Je possédais un Canon FtB. J’ai aimé cet appareil. J’avais deux objectifs de rechange, un grand angle de 28 mm et un télé de 200 mm.
Je me revois assis dans l’herbe du bas-côté. Face au vide de la reculée. Œil rivé au viseur. Mes doigts manipulant les bagues. Faire coïncider dans le viseur la tige de la vitesse avec le rond de l’ouverture. Faire la mise au point sur le proche, puis sur le lointain. S’amuser longtemps sans bouger de place. Envisager toutes les possibilités de réglage. Changer d’objectif, refaire les mêmes manipulations, les mêmes essais, encore et encore. Ne pas déclencher très souvent pour autant, parce que la pellicule. Économiser. S’en tenir à une vue d’ensemble, finalement. Et une petite fleur blanche en premier plan, sur fond flou de falaises où piaillent les choucas.
Peut-être que je referai ça bientôt.
Peut-être qu’ensemble, avec Elle, nous le referons. Nous prendrons le temps de nous poser, comme on dit. Nous prendrons le temps de nous appliquer. Parfois nous devrons surmonter notre réticence face à l’épaisseur du livret d’utilisation. Nous chercherons le pourquoi du comment. Nous ne nous contenterons plus des automatismes standard. Ce serait bien.
Nous entrerons dans un magasin de photo. Je renouerai avec un plaisir dont j’ai perdu l’usage depuis des années.
18 mars 2011