caramels

J’étais bien dans le rythme du jeu.

Bon. À la vérité, cela faisait presque un mois que je n’avais pas joué. Alors la mise en route avait été difficile. D’autant qu’on jouait en semi-rapide, deux minutes par coup, pas plus. Je me suis mangé les trois-quarts de mon négatif dans les quatre premiers coups, ça démarrait plutôt mal.

Puis les réflexes sont revenus.

On devrait s’entraîner tout le temps, afin de ne pas perdre la main. Ou ne pas perdre la tête, je ne sais pas comment dire. Mais je ne le fais pas. J’étais même près d’abandonner. Le ressort n’y était plus. C’est que dans certaines activités, l’échec peut-être rapidement décourageant.

C’est un jeu où il y a des courants. Comme dans une rivière. Ou une ria.

Si tu es dans un courant descendant, tu te plantes à tous les coups, tu ne vois rien, tu enchaînes échec sur échec.

Au contraire, si tu es dans un courant ascendant, ta vision du jeu est bonne, tu maîtrise ta grille, tu anticipes bien, les coups s’enchaînent à merveille. Tu perds bien quelques points par ci par là, parce que ton attention n’est pas au maximum, des bribes de tes pensées vadrouillent ailleurs. Mais globalement le succès entraîne le succès.

Deux minutes par coup, ça va vite. Tu n’as pas tellement le temps de penser à autre chose, ou vraiment au minimum. C’est en ça que ce jeu est bon. Il lave la tête.

Un geste un peu brusque. Rester dans le rythme, mais ne pas accélérer. Parce que.

J’ai laissé tomber un caramel. Il a glissé jusque sous les pieds d’une autre joueuse. Une autre s’en est aperçue et faisait mine de se lever. J’ai dit, non, non, j’irai le chercher plus tard. Rester dans le rythme. Ne pas perdre son temps à des actes parasites. Deux minutes. Ça va si vite. Je me lèverai quand le chrono aura sonné. C’est mon problème si je suis maladroit. J’ai pris deux caramels d’un coup et j’en ai laissé échapper un. Une bonne chose d’ailleurs, sinon j’aurais pu me prendre les pieds dans le tapis avec une mauvaise lettre.

Je t’ai déjà expliqué, non ? Ce qu’est un caramel. Dans le jargon des scrabbleurs, cela désignait les petits carrés de plastique avec les lettres dessus. Je mets ça à l’imparfait parce qu’on n’entend plus tellement prononcer ce mot-là. Ce devait être une trouvaille d’un joueur en vue il y a quelques années, j’imagine.

Caramel. Pourquoi caramel ? Je présume que c’était par ressemblance avec les caramels carrés, les vrais, dont on dépiautait avec gourmandise le papier de cellophane quand j’étais petit. Dupont d’Isigny, ils s’appelaient. Il y en avait de plusieurs couleurs, en fonction des additifs qu’on y mettait, goût café, chocolat…

Les lettres du scrabble ne sont pourtant pas si grosses que ces authentiques caramels. Elles sont même beaucoup plus petites sur les jeux magnétiques que nous utilisons.

En fait de caramels, quand j’étais gamin, je préférais de loin les bonbons Sugus. Tu as connu ça ? C’étaient de petits carrés aussi. De couleurs, ceux-là. Emballés dans des papiers en rapport avec les goûts que la chimie était censée leur donner. Dans ma mémoire, j’associe ces bonbons à l’Alsace. Je me souviens que la tante Léonie en apportait lorsqu’elle nous rendait visite à la ferme auberge.

Pour en revenir au jeu, je ne me suis pas laisser déconcentrer par cette lettre qui avait giclé par terre. Un A. Je l’ai reprise au moment adéquat, et je suis resté dans le rythme. Tant et si bien que j’ai terminé deuxième de la partie, ce n’était pas une mauvaise performance.

Tu te diras peut-être que pendant que je faisais ça, jouer cette partie, je ne pensais pas à toi. Et bien détrompe-toi. Il y a toujours une bonne raison. Je t’ai dit que des bribes de mes pensées vadrouillaient ailleurs, que je ne parvenais pas à être à cent pour cent dans le jeu. Parmi les mots joués ce soir-là, il y avait celui-ci : FOULQUE. Alors j’ai vu les étangs, l’eau partout autour de chez toi, la ria qui étend ses tentacules. Et tous leurs habitants ailés. Et j’ai pensé à toi.

Comments

[phil]

Laurence : c'est beau le scrabble ?

Aline : oui. Et ça doit bien y être expliqué quelque part. Les caramels, les vrais, sont bien doux.

Naline : ah, tu connais les sugus ! C'est rare.

Fabienne : je comprends. Moi non plus je n'ai pas beaucoup le temps.

[fabeli]

Pas toujours le temps ni l'humeur de commenter mais je suis là et je lis.

[naline]

Je n'avais jamais fait l'association entre les caramels du Scrabble et les sugus... bien vu !

[Praline]

Ah mais je ne savais pas le nom des petits carrés du scrabble ! voilà donc l'origine du titre de ton premier blog ! *voilà je débarque* mdl
Hum ces petits caramels c'est vraiment un délice, j'en ai le goût en bouche !
J'aime ton dernier paragraphe.

[laurence]

comme c'est beau!