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le carnet vert
11 mars 2010

joie

Les valises. Il y a le poids des valises.

Oui mais.

La vie nous sourit.

Les valises sont trop lourdes.

Pour peu qu’on veuille bien y regarder, la vie est belle.

Le poids, je te dis. Je n’en peux plus de les porter. Il nous faut les poser.

Oui, posons-nous. Evadons-nous. Deux jours. Trois jours. D’autres jours encore.

Peut-être.

Arrêtons-nous.

Le poids du monde se portera sans nous.

Nous dormirons.

Dormir ? Ce sera du temps perdu. Ouvrons les yeux plutôt. Regarde : la vie nous sourit.

Pour peu qu’on y regarde, je suis sûr que chaque jour que tu vis, je dis bien chaque jour, et quelle qu’en soit la noirceur, t’apportera ta part de sourire.

Je ne te crois pas.

Vraiment ?

Regarde : aujourd’hui, par exemple, j’ai souri. Chaque jour t’apporte au moins une anecdote qui éclaircira ton ciel un instant. Parfois même, ce jour là t’apportera une joie immense qui te fera suffoquer.

Le dialogue avait fusé ainsi, et poursuivait son existence de dialogue tandis qu’elle finissait son bol de soupe, et que lui ôtait son manteau.

L’anecdote était là, à portée de main, elle le savait. Il n’aurait pas dû être là, à cet instant, en train d’ôter son manteau et à faire entrer du froid dans la cuisine tandis qu’elle lapait sa soupe.

C’est déjà fini ? Avait-elle crié depuis la cuisine. Bien à la légère, il lui semblait. Il avait haussé les épaules et refermé la porte qui laissait entrer le froid.

La vérité, c’est que ça faisait pile une heure qu’il était parti. A peu près dix minutes plus tôt, alors qu’il avalait sa deuxième tasse de café, il s’était aperçu qu’il n’avait rien écrit de la journée. Sa discipline en prenait un vieux coup, on aurait dit. Alors il avait griffonné (taponné, ça se dit ça ? ou clavioté ? tapoté ?), bref, il avait écrit vite fait quelques lignes à propos de la discipline, justement, qu’il avait posté tout aussi vite fait sur la prochaine page de son carnet intersidéral. Alors seulement, soulagé, il s’était fait la réflexion qu’il était prêt à partir. Remarque, même s’il n’avait rien écrit, il serait parti. Mais là, en plus, il avait la satisfaction du devoir accompli.

Elle est là, l’anecdote. Prenez patience.

Il a laissé l’ordinateur allumé, pour elle. Il a mis un bout de bois dans la cheminée. Il a fermé la lumière et la porte. Il s’est installé au volant de la Golf et il est parti. Il était moins le quart. De vingt heures. Il s’était dit, il faut une demi-heure, plus le temps de me garer, plus le temps d’aller au théâtre, plus… ne pas arriver trop tard, ne pas avoir à faire la queue pour entrer, horreur de faire la queue, pour quoi que ce soit, pouvoir choisir sa place, même, pourquoi pas, soyons fou, une place bien située dans le milieu de l’auditorium, pas trop devant, dans le milieu d’un rang, ou alors un peu sur la gauche, c’est son oreille droite la plus défaillante, il se dit que c’est ce genre de défaillance qui lui rappelle qu’il n’a plus vingt ans, il trouve ça étonnant, mais trouver de la joie dans chaque jour, ça fait aussi qu’il ne se sent pas vieillir

cette idée lui est venue samedi dernier, ils ont été voir un film qui les a transportés d’émotion, transfigurés pour ainsi dire, il a déjà écrit cela, ça partira un jour prochain dans le carnet intersidéral, sur la porte du cinoche, il y avait une affiche comme quoi ce qu’on entendait en attendant le début du film, la musique, c’était celle d’un orchestre qui donnait un concert le mardi, il a fait la réflexion que s’ils mettaient cette affiche c’est qu’il restait des places pour le concert. Tu aimes cette musique ? Oui mais mardi. Pourtant c’est du jazz. Vas-y, toi, disait-elle, achète-toi une place. Le lundi midi il est monté au théâtre, il restait des places, il était tout heureux, parce que le jazz, et puis il tâtait tout content le contenu de sa poche intérieure, le billet était là, jaune, un laisser passer pour le bonheur, un bonheur éphémère de deux heures environ, certes, mais du bonheur quand même, il avait senti la pulsation dans la salle de cinéma, tandis qu’ils attendaient le début du film, et il avait accepté d’aller seul au concert.

Il est arrivé en ville, ce soir de mars. Un soir de froid. Il a eu un peu de mal à trouver une place de stationnement. Il a râlé un peu, bon sang, ils sont déjà tous arrivés, le concert ne commence pourtant que dans vingt minutes. Il a trouvé une place. Il est descendu jusqu’au théâtre. Tout en marchant, il tâtait le contenu de sa poche intérieure, le billet jaune, le précieux sésame pour le bonheur, était là, ouf le soulagement, encore une fois, et encore une autre. Il a monté les marches quatre à quatre, à la Chaban. Le hall du théâtre était allumé mais étrangement vide. Il s’est dit merde, je dois être en retard, ce devait être vingt heures, et moi j’ai enregistré vingt heures trente. Il a tâté sa poche. Le billet. Il s’est dit j’espère que ce n’était pas dix-neuf heures trente, ce serait trop bête. Il se dit vingt heures, ça peut encore aller, ce ne serait commencé que depuis dix minutes, il regarde sa montre, il a confirmation qu’il est dix, j’aurais une mauvaise place mais tant pis, je ne louperais pas grand-chose.

Il est encore sur le parvis désert, face au hall vitré du théâtre tout éclairé de jaune, désert lui aussi, il ressent une espèce de petite boule d’angoisse, de désappointement, il faut vérifier l’heure, bon sang ce n’est pas possible, je me suis trompé d’heure, il n’y a pas d’autre explication, il regarde le billet, pourtant si, c’est bien écrit vingt heures trente, il ne comprend pas, il regarde encore, il compare le billet et le hall désert du théâtre

putain !

mardi 16 mars 20h30. On est le neuf, je me suis gouré de mardi. Et il éclate de rire, tout seul qu’il est sur le parvis du théâtre, et il redescend les marches quatre à quatre, au risque de se casser la margoulette (il faisait ça aussi, Chaban ?), il regagne l’habitacle de la Golf, il refait le chemin

la voilà, l’anecdote

le froid rentre avec lui dans la cuisine, il s’exclame, je ne l’avais encore jamais faite, celle là, je me suis trompé de jour, et elle le regarde, surprise, tout en finissant son bol de soupe, oui, en entrant, il a bien remarqué que la maison sentait la soupe, c’est qu’il a l’odorat sensible, il y a des trucs qui vieillissent moins vite que les autres

il rit, elle rit aussi, elle dit, et bien tant mieux, tu vas pouvoir m’aider, et là il déchante un tantinet, parce qu’il perçoit déjà il ne sait pas encore quel problème avec l’imprimante, elle a toujours des problèmes avec l’imprimante, et lui il est allergique aux problèmes d’imprimantes, c’est comme ça.

N’empêche que là, tu as ri. Dit-il. A cause de l’anecdote.

Tu vois bien que chaque jour.

Et puis même si finalement ça ne le fait pas tant rire que ça, cette histoire d’avoir paumé une heure de temps dans le froid de ce soir de mars, parce que pendant ce temps le clavier est resté muet, l’écriture n’avance pas, et puis l’imprimante, il se dit aussi que la grande joie suffocante lui est également tombée dessus tout au long de la journée. Au début il se dit allons allons elle est bien généreuse, mon amie la lectrice. Puis une autre. Et une autre encore. Quelques amis lecteurs aussi ? Oui, peut-être, c’est possible, mais il y a plus de lectrices que de lecteurs, c’est ainsi. Tout ce dithyrambe, ces commentaires enthousiastes, est-ce bien mérité ? Il n’en sait rien, mais n’empêche qu’il les a lus et que rien n’oblige les gens à de la complaisance, même des amis, alors.

Alors ?

Il est sincérement, profondément ému touché reconnaissant, il pourrait tenter d’autres qualificatifs, mais là, il est suffoqué par la joie, le choc de la joie. Il a envoyé la veille, sur le carnet intersidéral et vert une petite nouvelle innocente qu’il a intitulé Sang d’Encre, et voilà que les commentaires, que les amis aiment lire ça, et que la joie.

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Commentaires
P
Cécile : oui, c'est important, la reconnaissance. Ca va sans dire, comme dirait l'autre, mais ça va encore mieux en le disant.
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G
Je partage ton avis pour la reconnaissance, c'est une bonheur.<br /> C'est un peu pour ça que je (qu'on ?) continue à écrire. Parfois même beaucoup pour ça.<br /> <br /> Ravie de la joie, mille sourires :)
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P
Aline : cool de te faire sourire pour démarrer la journée.<br /> <br /> Fabienne : l'âge ? Quel âge ? Enfin c'est moins ennuyeux pour le jazz.<br /> <br /> Tifenn : toi aussi ? M'enfin, quoi mon âge. Je n'ai pas que l'âge de mes artères, j'ai aussi celui de mes rêves.<br /> ;-)<br /> <br /> Nath : je suis heureux de t'avoir fait sourire. Toujours sous la neige, chez toi ?<br /> <br /> Luna : bienvenue. Permets-toi le plus souvent possible !<br /> <br /> Syl : J'imagine oui. Allez, les valises, on les oublie sur le quai, ok ?<br /> <br /> Pakita : bon et bien l'âge n'a rien à voir, apparemment. Ca me rassure :-)<br /> <br /> Poupoune : grande journée, oui, l'anecdote + les comm sympa.
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P
Caro : la douleur, c'est passé ici, j'ai zappé volontairement.<br /> L'écriture, c'est aussi l'à côté. Il faut en effet vivre pleinement en dehors de l'écriture pour pouvoir raconter ensuite.
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P
dans ce sens, l'erreur, c'est du plaisir en double : deux journées d'attente fébrile et enthousiaste!<br /> une anecdote, des petits et grands plaisirs... une bonne journée en somme!
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