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le carnet vert
19 janvier 2010

le concert

La musique incite au voyage, dit-on. C’est peut-être vrai. Parfois.

Le voyage peut se révéler épuisant.

Les images sont indécises, pendant.

C’est ensuite qu’elles se précisent.

Pendant que le violon gémit, les images sont indécises.

L’association est facile. Un violon qui gémit. Des sanglots longs de violons, une langueur monotone, un voyage automnal, au gré de la Seine qui coule sous le pont Mirabeau, comme chacun sait.

Je n’irai pas jusque là.

Sous le pont Mirabeau, veux-je dire. Ni dessus.

Le violon ne me fait pas voyager dans les parages du pont Mirabeau.

Je suis un piéton de Paris.

Emboîté-je le pas de Léon-Paul Fargue ? Je n’en sais rien. Je ne me souviens plus de ses trajets.

Je ne vais pas au gré du courant de la Seine.

Quel que soit le pont sous lequel elle coule.

Je la remonte.

C’est l’automne.

Arbitrairement je décide de partir du pont Saint-Michel. Et je remonte la Seine par sa rive gauche, jetant un œil distrait aux étals des bouquinistes. Je savoure les rayons obliques d’un soleil automnal qui joue avec les feuilles caduques et mordorées du quai. Et je vais ainsi, à contre-courant, jusqu’en face de la pointe de l’île Saint-Louis qui forme comme une étrave face au flot boueux.

J’emprunte le pont de Sully pour passer sur l’île. Mes pas aventureux me portent sur les nobles quais de Béthune et d’Orléans, et bientôt je parviens au chevet de Notre-Dame. Entendrai-je alors un jeu de cloches ?

Le concerto s’enrichit-il de quelque chose qui ressemblerait à un jeu de cloches, un thème un peu tintant, par exemple exhalé par les vents ? Est-ce que cela viendrait précisément au moment où je me mêle à la foule éternelle du parvis ?

Mes pas de piétons de Paris se dessinent avec cette précision alors que je gis dans mon lit, épuisé, bien après le concert. Douloureux. Insomniaque.

Je gis.

Elle dort près de moi.

Quant à moi je suis seul avec ma douleur.

Tandis qu’à l’extérieur quelques rares véhicules glissent en chuintant sur la chaussée verglacée.

Durant le concert je n’ai pas vu les choses de cette façon.

J’avais juste une vague idée de voyage et de Paris.

De feuilles mortes, à cause du violon.

Et j’imaginais plutôt le virtuose (vraiment virtuose : il a eu droit à une très longue ovation debout) en saltimbanque. Un violoneux de rues menant la foule en procession, dans le rythme endiablé de ses mélodies tziganes.

Mais c’est de la musique italienne, que nous écoutions.

Paganini.

Le premier concerto pour violon.

Je n’ai pas reconnu la musique. Nous avons le disque, pourtant. Mais ce n’est pas pareil. Un disque vous transporte rarement sur les quais de Paris. Un disque vous transforme rarement en feuille caduque et mordorée volant au vent.

J’ai lu sur la notice que le virtuose joue un violon de J. B. Vuillaume, célèbre luthier du XIXème siècle, originaire de Mirecourt. Cette façon de formuler les choses m’intrigue. Jouer un violon. Et non d’un violon. Ou avec ou sur ou je ne sais quelle autre préposition. Jouer un violon, comme si l’instrument était lui-même la musique. Pour moi, cela ajoutait à la magie de l’instant.

J’étais assis à côté d’Elle, dans le fauteuil minimaliste et moderne de notre auditorium flambant neuf. Un auditorium à moitié déserté en raison du verglas, à ce qu’il s’est dit, et ce qui m’a semblé sans conséquence sur la ferveur de l’ovation debout.

J’étais assis à côté d’Elle, et néanmoins j’étais seul.

À un moment je me suis rendu compte de ça, que j’étais seul, et ça m’a effrayé. Ne peut-on donc pas communier dans l’écoute ? Il me semble pourtant que nous étions très près l’un de l’autre. Peut-être même que nous nous tenions la main.

Il n’y a pas que ça, qui m’a effrayé.

J’avais les yeux clos. Je voyais de vagues bribes de Paris tandis que le violon gémissait. J’avais pensé à ce que je pourrais écrire, mais ce n’était plus le cas. J’avais juste les yeux clos et j’étais dans la musique. Je ne sais pas s’il y a eu quelque part une dissonance qui m’a réveillé alors que je ne dormais pas. J’ai sursauté. Quelque chose a dû se délier en moi. Soudain j’avais mal. Physiquement mal. Mon visage me lançait de toutes parts, et mon cou, et mes épaules, et je ne sais quoi à l’intérieur de moi, comme si j’avais souffert de sinusite par tout le corps. Sans doute que j’étais trop tendu. Peut-être que cette tension était l’effet de la musique. Ou alors à l’inverse la musique m’avait détendu. Toujours est-il que j’avais mal, que c’était effrayant, et que par ailleurs j’avais le sentiment de vivre un instant merveilleux et inoubliable. J’en avais les yeux embués.

Entre parenthèses, moi qui ne connais rien à la musique et qui suis plutôt amateur de jazz, je m’étonne encore d’avoir été ainsi transporté par de la musique dite classique.

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Commentaires
T
J'(ai un CD d'abbey Lincoln sur mon étagère.<br /> Je l'ai vue en concert il y a quelques années.<br /> Je n'ai pas reconnu tout de suite immédiatement les premières notes, mais le "bird alone", son premier morceau, m'a tiré les larmes. Et je me sentais très très seule aussi.<br /> Et je trouve ça très bien, c'est comme si ce concert là n'était que pour toi, comme s toi seul en avait ressenti l'essentiel, le "message" du compositeur ou chanteur.<br /> Entendre en direct quelque chose que j'avais écouté mille fois c'est...ouch...oui, douloureux. Mais beau/bon. <br /> Je vais arreter de dire "je" tout le temps, promis. C'est juste pour dire que je crois comprendre.
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P
Naline : oui, mais là c'était trop !
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N
Quand la musique nous transporte...<br /> Une belle compagne de tous les instants !
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