un taxi vert
Je me souviens parfaitement du taxi. Une 404 break peinte en vert métallisé. A l’époque c’était le nec plus ultra de la bagnole, rivalisant avec les ID et DS, et plus tard avec les R16.
Ce taxi nous attendait devant la gare. A moins que ce ne fût à nous de l’attendre, mes souvenirs à ce sujet manquent un peu de précision.
Il nous fallait bien un break, n’est-ce pas, afin de monter jusqu’au Ried les bagages nécessaires pour une famille composée de quatre personnes et venant en villégiature pour un mois complet. Car en ce temps là les vacances, je veux dire les vacances familiales, duraient tout un mois, mon père alternant juillet et août avec un de ses collègues.
Cette dernière ligne droite dans le taxi vert prenait un parfum de libération, après un si long voyage. Parce que le train local qui nous débarquait à Munster était le quatrième de la journée. Pour l’enfant que j’étais, amoureux des trains, c’était bien sûr du plaisir pur ; toutefois, tout au long d’un jour, cela finissait par devenir lassant. Même pour moi. Même si je me délectais de l’odeur métallique des freins serrés. Même si j’adorais entendre la scansion des boggies. Même si je m’absorbais avec plaisir dans la contemplation des écheveaux de voies à l’approche des gares. Même si je pouvais lire sans difficulté les noms des localités sur les panonceaux ponctuant les quais (va donc lire les noms depuis la vitre d’un TGV, c’est devenu mission impossible).
Le trajet en taxi ne prenait pas tellement de temps. Il n’y avait qu’une poignée de kilomètres. A faible vitesse évidemment, compte tenu du fait qu’à partir du village suivant, on s’engageait dans un chemin non goudronné qui sinuait à travers les hautes futaies d’épicéas. Quand je parlais de dernière ligne droite, c’était une vue de l’esprit, on l’aura compris.
Il me semble que mon cœur battait plus vite quand notre taxi cahotant atteignait l’orée de la forêt, et qu’au fond de la prairie pentue que nous longions sur notre droite, j’apercevais la petite maison de bois qui fut autrefois la propriété de mon grand-oncle Camille, et qui un jour avait été représentée par un artiste de la région au premier plan d’un paysage de monts bleutés.
Il me suffit de contempler ce tableau, le paysage aux monts bleus, pour parcourir en songe les chemins d’autrefois. Je redeviens enfant. Je marche sur le chemin poussiéreux en traînant sciemment les pieds (au grand dam de ma mère) et en imitant le bruit suave d’une locomotive. Et je me dis qu’un jour à venir, peut-être qu’un train régional me déposera sur le quai de Munster, et qu’un taxi vert m’attendra dans la cour de la gare et m’emmènera dans la montagne par un chemin non goudronné, et qu’au détour d’un virage mon cœur bondira à la vue d’une petite maison de bois. Je pense à ça en souriant. Je me dis que peut-être, un jour, un autre jour.