souvenir de la vieille maison (2)
Le dimanche matin, je me levais. Pieds nus sur le parquet rugueux, j’allais à la fenêtre. J’actionnais la crémone et j’ouvrais les volets.
Et je restais là tout un moment, penché à la croisée ouverte, à me laisser envahir par le suave parfum de la rue, tandis que frissonnante Elle s’enfouissait sous les couvertures.
Les autres jours aussi, je me levais, et je faisais toutes sortes de choses banales tandis qu’Elle s’enfouissait sous les couvertures.
Le dimanche ce n’était pas pareil : je m’habillais prestement, je mettais la cafetière en route, j’ouvrais la grande porte-fenêtre de la cuisine et je sortais sur la galerie couverte bordée d’une rambarde en fer forgé qui desservait notre logement. Je descendais quatre à quatre le large escalier de bois usé, je filais sous le porche, j’ouvrais la lourde porte cochère, et là encore, je m’arrêtais, figé sur le pavé luisant, et je humais longuement la suave fragrance qui guidait mes pas, celle du pain.
Nous habitions une ruelle sombre et étroite. Le soleil n’entrait pas souvent chez nous. Mais nous avions la chance qu’un des immeubles d’en face abrite une boulangerie, dont la vitrine donnait sur l’artère commerçante parallèle à la nôtre, et dont l’arrière diffusait vers nous ses parfums par des fenêtres perpétuellement béantes.
Je traversais la rue. J’empruntais un sombre passage en escalier qui ressortait dans l’autre rue, comme une manière de traboule, et il me suffisait de peu de temps pour revenir chargé de baguettes encore chaudes et de croissants, tout empreint d’un bonheur tout simple.