anarchie lumineuse
Levant les yeux vers le haut d’un immeuble, tandis que je me rendais à la boulangerie en vue de savourer le plaisir inégalable du petit déjeuner (et ce en dépit d’une météo rébarbative), je polarisai mon attention sur une minable petite guirlande électrique qui pendouillait de guingois entre deux fenêtres tout en scintillant imperturbablement en rouge et jaune.
Aussitôt mon imagination me fit oublier le crachin qui souillait présentement mes lunettes en me montrant un couple que je voulais jeune et hétérosexuel, lui penché à la fenêtre de gauche, elle à celle de droite, l’un d’eux essayant d’attraper le bout de la guirlande que l’autre lançait maladroitement dans le vent. Parce qu’il a bien fallu le faire passer d’une fenêtre à l’autre d’une façon quelconque, ce machin lumineux. Par convention, je penche pour une opération menée à deux plutôt qu’à un dangereux tour d’équilibriste solitaire. Je l’imagine elle, les joues rosies par la fraîcheur, et riant, toute joyeuse de participer à la liesse populaire, et s’exclamant de surprise feinte à chaque fois qu’elle laisserait échapper l’extrémité de la guirlande. Je l’imagine lui, moins maladroit peut-être, et sans doute moins concerné, gardant alors un sérieux de bon aloi, mais tout fiérot quand même au constat de la joie exprimée par sa jeune épouse.
En vrai je ne sais pas qui habite là-haut. Peut-être que la réalité n’est pas si belle. Peut-être que je subis trop l’influence des photos de Doisneau. Mais le lieu le veut. Encore qu’à son époque, je doute que quiconque se soit lancé dans des acrobaties pour décorer de noël l’extérieur de son habitation. Entre parenthèses, je ne voudrais pas avoir l’air râleur, comme ça, mais les scintillements multicolores qu’on voit de ci de là ponctuer la nuit tiennent plus de l’anarchie lumineuse que de la décoration.
Mais revenant à ma mission, je me sentais gagner par l’ineffable parfum du pain chaud.