le ciel s'est déchiré
Soudain le ciel s’est déchiré. Oui, c’est ainsi.
Nous parcourions des contrées grises. Le bocage s’estompait dans l’averse. Le mouvement lancinant des essuies-glaces menaçait d’avoir un effet soporifique. Parfois le faisceau lumineux projeté par un autre véhicule sur le torrent d’asphalte nous tirait de notre torpeur. La pluie ne cessait pas et ternissait même le feuillage flamboyant des grands hêtres. J’ai remarqué le mince cours d’eau sinuant interminablement au milieu de prairies détrempées. L’eau boueuse disait que la pluie n’en était pas à son coup d’essai.
Je trouvais le paysage triste. C’est conventionnel, évidemment, mais qu’y puis-je si je n’aime pas la pluie.
La pluie cessa sans prévenir, et aussitôt le ciel s’est déchiré. Sur notre droite une colline boisée s’est mise à flamboyer, son sommet, ou plus exactement les franges hautes des forêts, s’est mis à zébrer d’or la masse anthracite de la nuée.
Je me suis arrêté au bord de la route. Nous sommes sortis dans le vent, armés de nos appareils. Le ciel bouillonnait en orangé. Un morceau d’arc en ciel semblait soutenir cet ensemble fou de volutes évoquant du plomb en fusion.
Nous avons photographié le ciel, bravant la bise et ignorant les automobiles qui nous frôlaient. C’était frénétique de notre part. Il convenait de prendre le crépuscule de vitesse. Lorsque nous fûmes apaisés, nous nous rendîmes compte qu’il faisait froid.
Le ciel s’était déchiré et nous avait livré des visions étranges. Si l’enfer existe quelque part, me disais-je, il doit ressembler à cela : un mélange de feu, de matières en fusion, et de froid.