mardi soir
Dehors il ferait gris. Non, il ne pleuvrait pas, je n’aime pas la pluie. Juste gris. Un temps brumeux de novembre, mettons. Le givre aurait fondu dans la journée, mais à peine. Les dernières feuilles des rosiers s’égoutteraient encore, tandis que le crépuscule assombrirait l’ambiance. J’aurais rallumé le feu dans la cheminée.
Plus tard (nous serions un mardi), après avoir sorti les poubelles, après avoir préparé le repas du soir, après avoir activé quelques liens, je prendrais place dans le grand canapé bleu, tout près de l’âtre. La pièce s’emplirait d’une musique chaude qui couvrirait le crépitement des bûches de chêne. Ce serait du jazz, évidemment, par exemple du Stan Getz, aux accents latins, ou alors la trompette de Paolo Fresu. Une musique chaude, je vous dis. Mais pas le saxo de Gato Barbieri, c’est trop, comment dire, anguleux, voilà, déchirant, presque, comme lacéré par des griffes de chat.
Je m’absorberais dans la lecture d’un bon polar. C’est un peu un cliché, mais le roman policier se marie bien avec le jazz, je trouve. Par exemple je tenterais d’imaginer la canicule des nuits de Göteborg, que décrit si bien Ake Edwardson. Des foules de gens hagards et assoiffés de bières envahiraient les rues de la ville tandis qu’une douce brise agiterait les branches des grands pins du littoral. Il ferait gris et froid dehors, et moi, bien au chaud dans mon salon, je me transporterais par la lecture dans l’été suédois.
Par moments, presque machinalement, sans perdre le fil du récit imprimé, je tendrais la main vers la table basse, je m’emparerais du gros verre de cristal et j’y prendrais une lichette très ténue du magnifique liquide ambré, pourquoi pas le Glen Morangie qui dort encore à la cave à l’heure où j’écris ces lignes. Celui qui a été élevé dans des fûts ayant contenu du sauternes. Je repenserais avec un sourire au jeune vendeur qui m’avait fait humer un échantillon de ce nectar, je reverrais son regard illuminé, et il me dirait, sur un ton de connivence, qu’à chaque fois qu’il fait débouche cette bouteille pour en exhaler le parfum à l’intention d’un client, il en profite pour humer aussi.
Assis dans mon canapé bleu, je vivrais l’instant comme je recevrais un cadeau. C’est un peu un cliché, sans doute, mais le whisky se marie bien avec le jazz et avec le polar, je trouve. Même avec du jazz latin et du polar suédois, vous pouvez me croire.