un pique nique
J’avais amoureusement rangé dans la glacière une bouteille d’eau, des tranches de jambon dans de l’alu (comme je suis quelqu’un de prévenant, j’avais pensé que chacun choisirait selon son goût, j’avais donc tranché du jambon serrano et de la noix fumée du jura), du cake à la courgette et à la brousse, des œufs durs et des muffins au chocolat préparé par Fille n°3. J’avais même rempli une thermos de café. Nous nous étions arrêtés à une boulangerie en arrivant sur l’île, histoire d’avoir de la baguette bien fraîche. J’avais même acheté une « baguette apéro ». Je m’étais fait railler je ne sais pas pourquoi, parce que j’avais choisi celle à la saucisse de Morteau. Pour compléter, nous avions acheté du muscat sur un marché. Bref nous avions tout ce qu’il faut pour ne pas tomber d’inanition.
J’avais tourné dans le chemin défoncé qui menait à la plage que d’après mes souvenirs nous avions déjà fréquentée. Il n’y avait pas une longue distance à parcourir. Bientôt nous avions découvert un espace à l’abri des pins vaguement aménagé pour le pique nique. Je veux dire qu’il y avait deux tables bien entendu occupées, et des troncs disposés ça et là en carré ou en triangle, ou encore en rien du tout. Il restait une place à l’ombre le long du chemin pour garer la voiture, ça tombait bien.
Les enfants doivent avoir un goût inné pour la géométrie, je ne sais pas, toujours est-il qu’ils se sont précipités en piaillant vers le groupe de troncs qui présentaient le carré le plus harmonieux. C’est donc là que nous avons fait bombance, non sans avoir été chercher à plusieurs reprises un truc ou un autre oubliés dans le coffre.
On était bien, il n’y a rien à redire, il ne faisait pas trop chaud, ni trop frais. Ce n’aurait pas été plus mal si les gamins s’étaient abstenus de tourner autour de nous en bourdonnant comme des mouches ou des moustiques. D’ailleurs y en avait aussi. Des moustiques. Il s’agissait donc de ne pas s’attarder inconsidérément.
Tandis que nous finissions les muffins, deux autres vagues de pique-niqueurs sont arrivés. Ce qui est amusant, c’est que les deux groupes étaient munis de tables pliantes avec sièges incorporés, et qu’on aurait pu se dire qu’ils iraient déplier leurs engins n’importe où dans le sous-bois. Et bien non. Les types ont tourné en flairant dans le secteur et ont jeté finalement leur dévolu sur des assemblages de troncs restés libres au milieu desquels ils ont installé leurs ridicules tables, privant ainsi d’éventuels pique-niqueurs retardataires d’un endroit où poser leurs fesses. Ce manège me faisait penser au besoin qu’ont certaines bestioles de marquer leur territoire, et je me disais in petto que la vie des bêtes était encore bien plaisante à observer, parfois.