tilleul
Ce n’est pas tous les ans, il me semble, que les tilleuls embaument à ce point. Pourtant l’humidité persistante n’incite pas à être particulièrement attentif aux odeurs. L’humidité elle-même, et les diverses senteurs de décomposition qui en découlent, comme celle d’un humus prometteur de champignons, auraient plutôt tendance à monopoliser le sens olfactif.
Il n’en est rien.
Les gros arbres sous l’un desquels on avait installé une table de fortune, il y a de cela déjà trois étés (et nous formions alors comme un archétype du repas champêtre, j’étais conscient de cela même si je me souviens parfaitement avoir alors beaucoup trop bu), s’égouttent présentement sur la route mouillée. Nous nous disons en riant que pour un mois de novembre, nous profitons d’une arrière saison assez douce. Tu parles : nous sommes le premier juillet, et je suis le seul à ne pas porter de pull, parce que je suis moins frileux que d’autres, habitué sans doute aux rigueurs continentales, et puis aussi un tout petit peu par bravade (alors que cette fois, j’ai bu en toute convivialité, mais pas trop ; de toute façon, c’est Elle qui conduit parce que j’ai tendance à systématiquement ne pas connaître les chemins du retour). Tout ça pour dire que ce gros arbre au bord de la route, impressionnant pour un tilleul, s’égoutte sur la route, et bourdonne de millions d’abeilles, et diffuse loin aux environs le parfum inimitable de sa floraison surabondante.
Dans mon village à moi, j’ai remarqué, comment faire autrement, qu’un tilleul de taille plus modeste parvient à vaincre sans problèmes les assauts olfactif des chèvrefeuilles, des buddléias et même ceux de la porcherie.
J’ai l’impression de sentir le tilleul partout. Même dans le creux de son épaule à Elle. Mais non, ce n’est pas tous les ans qu’on bénéficie d’une telle débauche de senteur.
La preuve, ça me renvoie à un événement bien précis. Ma fille numéro 3 était encore à l’école primaire. Il y avait ce jour-là une sortie scolaire. Je faisais partie des parents d’élèves volontaires pour accompagner un groupe d’enfants pour un rallye pédestre à travers les rues de la vieille ville. Si je dois me rappeler une seule chose de cet après-midi-là, c’est la joie sans nom que j’avais éprouvée en pénétrant soudain sous l’allée ombragée de tilleuls en fleurs qui mène au porche de l’église Saint-Jean de Montierneuf.