le bouilleur
Le matin, lorsqu’Elle me dépose au bureau, nous ne partons pas par la même route que lorsque je suis seul. Elle préfère sans doute voir la vallée d’en bas. Moi je l’admire plus volontiers de haut. A chacun son point de vue, il faut croire. Mais là n’est pas la question.
Le matin, donc, lorsqu’elle m’emmène au bureau, face à l’endroit où la petite route qui longe la rivière rejoint la départementale, nous nous amusons à repérer le bouilleur qui nous fait de grands signes amicaux. Cela fait quelques mois qu’il a installé là sa cabane et son alambic, en lisière d’un bois, et de bon matin on voit s’en élever de claires fumées qu’on imagine fort odorantes.
Cet homme d’une cinquantaine d’années, blond et mal rasé, que nous ne connaissons pas, s’obstine à saluer les passants, motorisés ou non, et chaque jour cela nous met du soleil au cœur. Il me fait l’effet d’un simple, un personnage comme on n’en voit plus guère. Je ne veux pas dire un simplet, non, je ne vois pas a priori pourquoi il n’aurait pas toute sa tête (encore qu’on peut passer pour fou à saluer ainsi les inconnus), mais quelqu’un de simple, qui vit en osmose avec l’environnement, sans trop s’embarrasser de soucis, un personnage comme on en trouve dans les histoires champêtres contées par Giono. Parfois il m’arrive de regretter de ne point avoir de fruits à lui faire transformer en schnaps.