défiguration
Lorsque nous en avons la possibilité, Elle et moi, lorsque nos emplois du temps coïncident, nous faisons voiture commune pour aller travailler. Il faut bien faire quelques économies, non ? Et ne pas gaspiller inutilement les ressources de la planète (oui je sais, on va m’objecter qu’on peut difficilement faire du gaspillage utile, mais bon).
Ces jours-là, c’est Elle qui conduit, car elle a besoin de son véhicule pour ses déplacements professionnels. Du coup j’ouvre l’œil. Et le bon. Ce qui me permet de râler. Parfois tout haut. Parfois intérieurement. Ce matin c’était tout haut.
Parce que figurez-vous que notre vallée, certes comme les vallées de nombreux cours d’eau, c’est banal à dire, notre vallée, donc, elle est vachement jolie. Surtout près de chez nous. Parce qu’on prend une toute petite route qui longe la rive droite de la rivière, il y a des coteaux boisés où fleurissent jonquilles et jacinthes sauvages (pas encore mais ça va venir), des oiseaux qui s’envolent à notre approche et se réfugient dans les taillis, il y a même un source qui suinte au milieu de la route, à un endroit, oui à travers le goudron.
Sauf que.
Rien ne la protège, cette jolie vallée. Aucun monument historique dans le secteur, pas de village médiéval, rien. Rien qui empêcherait de faire n’importe quoi.
Et c’est bien là le problème. Car à la sortie du hameau voisin, là où la petite route rejoint le bord de la rivière et s’enfonce dans le sous-bois en bas du coteau… s’enfonçait, il faut dire. Parce qu’on a construit là quatre ou cinq ou six, enfin bref je ne sais plus le nombre exact, un certain nombre de pavillons aussi moches et dénués de caractère les uns que les autres, et que pour ce faire on a littéralement éventré le coteau, déboisé, laminé le paysage, que c’en est devenu une désolation, qu’il n’y a plus de sous-bois. Et que ça me met en boule comme à chaque fois que je passe là, que je vois ces maisons destructrices de beauté fièrement posées sur leurs buttes de terre comme des mouchams sur des étrons.