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le carnet vert
19 mai 2018

racoin

Dans la matinée, je sors acheter du pain. En bas de la rue, de l’autre côté de la palissade, l’écheveau des voies ferrées fait silence. C’est jour de grève. A l’autre extrémité de la rue s’agglutinent en grappes les lycéens. Vu l’heure, ils devraient être en cours. Peut-être là aussi est-on en grève. Je bifurque dans une rue adjacente. Je tiens à profiter, gorger mon regard de l’harmonie architecturale des modestes amiénoises blotties les unes contre les autres. Amiénoise : ainsi nomme-t-on les maisons populaires traditionnelles dont sont faits les quartiers périphériques de la ville. Le centre ville en est dépourvu : elles ont été détruites par les bombardements de la dernière guerre. Au coin d’une ruelle, deux commères discutent. Amusé, je capte quelques bribes de leur conversation. L’une d’elles a fait repeindre ses toilettes de couleur claire, parce que vous comprenez, elles se situent dans un racoin sombre de la maison. Et me voilà plongé dans le passé, dans le vocabulaire fantaisiste et imagé de ma grand-mère. Elle n’était pourtant pas picarde. Je n’ai jamais plus entendu parler de racoin depuis ma jeunesse, alors que le logement de mon aïeule était si exigu qu’il était forcément truffé de racoins plus ou moins secrets pour ranger les affaires, faire sa toilette et sa cuisine. Impossible de s’y cacher. Enfant je n’en étais pas frustré pour autant. Au contraire, j’aimais la chaleur parfumée de ce cocon. J’aimais y venir l’été, quand nous pouvions avec soulagement élargir notre horizon en ouvrant grand la fenêtre. Alors mon regard se perdait au loin, escaladait les collines, sur l’autre rive de la Marne, aussi densément peuplée que la nôtre. La province se terrait loin derrière, inaccessible, la Picardie peut-être, dont j’ignorais alors l’existence. Pour ma part, en bon passionné des trains, je m’absorbais dans la contemplation du ballet incessant des RER dont la ligne s’incrustait à hauteur de notre fenêtre. J’ignore s’il existe une nuance, mais pour en revenir au mot déclencheur de ma divagation,  mon vocabulaire personnel m’imposerait plutôt un banal recoin en lieu et place de ce merveilleux racoin. Et voilà, le charme est rompu.

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